Bon je vais pas y aller par quatre chemins, je n'avais pas autant été secoué par un film français depuis un bon bout de temps ! Le Chant du Loup m'a mis une vraie claque au cinéma et a clairement dépassé mes attentes. Ce film a débarqué silencieusement dans nos salles sans que l'on se doute qu'il s'agisse de l'une des productions françaises les plus ambitieuses depuis plusieurs années. Ambitieuse pas tant pour son budget (on peut pas vraiment parler de blockbuster), mais surtout pour son soucis du détail, ses décors et son envie de s'entourer de spécialistes et de personnes connues mondialement dans le business. Un bon gros défi relevé par Antonin Baudry pour son premier film, qui prouve qu'on est capables de faire de très bonnes choses en France quand on ne se repose pas sur nos lauriers, et qu'on va au bout de nos idées.
Alors pourquoi ce qui pourrait être considéré comme un "simple film de sous-marin" m'a paru aussi rafraîchissant ?
Je vais commencer par son thème déjà. L'histoire se focalise sur une "oreille d'or", ce sous-marinier doté d'une ouïe ultra sensible chargée d'analyser les sons captés par les sonars. Un type inconnu dont la tâche peut mener à la perte de l'engin voire d'une guerre si jamais il se trompe d'interprétation. Un mec plutôt utile en somme qui avait jusqu'alors souvent un rôle de faire-valoir dans les films du genre. Outre ce personnage, le contexte du film est assez bien amené, on pourrait presque penser à de l'anticipation tant ce genre de crises pourraient arriver. Les enjeux géopolitiques levés sont d'actualité : la peur de la Russie, le terrorisme, le dialogue sur la dissuasion nucléaire ou encore le sempiternel débat sur les procédures et l'enfer de la bureaucratie. Une intrigue plurielle qui réussit cependant à ne pas perdre le spectateur en voulant trop en faire. D'ailleurs, les petits pics lancés aux autorités sont succincts mais font mouche à chaque fois : on peut penser notamment à l'attente téléphonique en salle de crise ou la réplique d'Omar Sy par rapport aux réductions du budget de la défense.
Un autre élément qui nous interpelle dès les premières minutes, ce sont les décors. Comme je l'ai mentionné plus haut, le film s'est donné les moyens de faire quelque chose de bien. Le tournage s'étant déroulé à Brest, l'équipe a eu recours à des véritables intérieurs de sous-marins avec de vrais écrans et instruments de sous-mariniers. La production a fait le max pour faciliter notre immersion dans ce monde particulier. Ces efforts se voient à l'écran et ils méritent d'être salués car cela n'a pas dû être évident en terme de logistique.
Ce qui m'a aussi valu avec mes comparses d'être en apnée pendant plusieurs scènes, c'est la très bonne gestion du suspense. C'est souvent ce qui manque dans les productions françaises de ce genre. Les quinze premières minutes du film et la course contre-la-montre lors de sa deuxième moitié se font sur un rythme très bien maîtrisé. Cela aurait été une complète réussite si on nous avait épargné une séquence sur terre trop longue et une amourette complètement inutile. Je pense que Baudry aurait pu remplacer cette relation par des scènes montrant un peu plus la vie de l'équipage à bord, à la manière d'un Das Boot mais le film se concentrant sur Chanteraide, ça devait pas rentrer dans le cahier des charges.
Passons maintenant au véritable point fort du film, sa dimension sonore. Pour paraphraser les dires de Baudry, le son est le personnage principal du film. Rien d'illogique à ça vous me direz, sauf qu'on sait tous que le design sonore d'un film est l'un des éléments les moins évidents à mettre en place. Ici, l'équipe est allée chercher les monteurs de Skywalker Sound chez Lucas. Les mauvaises langues diront que c'est de l'argent gaspillé parce qu'on en a de très bons en France (ce qui est vrai). Personnellement, je salue la démarche, c'est pas tous les jours qu'on a le droit à ce genre de pros dans nos films. Pari gagné car l'ambiance sonore du film est excellente. Le jeu sur les vibrations, les bruits du sonar, les ronronnements sous-marins, ces éléments renforcent le malaise que l'on ressent tout au long des séquences en mer. Le tout est parfaitement en harmonie avec la bande-originale de Tomandandy qui alterne avec justesse orchestral et musique d'ambiance.
Mais si j'ai eu un coup de cœur pour ce film, j'en oublie pas pour autant les quelques défauts. Le film s'est donné du mal pour rendre l'intrigue un minimum "réaliste", c'est dommage que cet effort soit terni par quelques moments ridicules comme voir un mec qui tire au famas pour enlever la sécurité d'un lance-roquette ou encore la scène de décodage du mot de passe dans le bureau. Il y a aussi quelques invraisemblances sur le fond : comment des sous-mariniers français peuvent revenir en France sans être inquiétés alors qu'ils ont explosé un hélicoptère iranien en temps de paix ? Ce genre d'acte est typiquement ce qui peut déclencher une guerre... Je pense que le film aurait pu éviter ce genre d'écueils qui décrédibilisent un film qui s'est donné beaucoup de mal à être un brin réaliste. Après, il ne faut pas oublier qu'on ne regarde pas un documentaire mais bien une fiction. On peut aussi déplorer plusieurs effets spéciaux ratés (notamment l'explosion de l'hélico iranien). Je sais bien que c'est dû à des contraintes budgétaires mais c'est quand même rageant qu'avec les très bonnes boîtes de VFX françaises, on est pas capables de faire aussi bien qu'aux US. Pour le reste, j'ai déjà mentionné l'intrigue amoureuse entre Chanteraide et la libraire, glissée dans le film comme s'il s'agissait d'une obligation. Pas sûr que la production aurait pu assumer un casting 100% masculin comme dans Das Boot. J'ai rien contre la charmante Paula Beer mais son personnage ne sert strictement à rien à part causer des problèmes. En terme de personnage féminin intéressant, on peut faire mieux je pense aujourd'hui.
Venons-en à ce casting pas piqué des hannetons. Je suis toujours content de retrouver Reda Kateb à l'écran, ce mec a du charisme et ce rôle lui va à merveille. J'ai un peu plus de retenue sur Omar Sy et Kassovitz pas forcément crédibles dans ce genre de registre. Pour le premier, c'est navrant de constater qu'il faut toujours que ce soit lui le blagueur même quand il joue un rôle très sérieux, c'est un peu lourd à la fin. Quant à Kassovitz, il est correct mais il paye aussi les quelques errances d'écriture. Pour ce qui est de François Civil, je suis toujours pas convaincu malgré un rôle qui le met en valeur. C'est pas un mauvais acteur loin de là mais comme dans Burn Out, je le trouve trop neutre et c'est pas son personnage qui m'a le plus ému. Tout cela c'est pour être tatillon, parce que pour un premier film, la direction des acteurs est plus que correcte. Je vais pas bouder mon plaisir : c'est un film qui prend des risques, qui parvient à lever des questions et qui nous épargne une fin classique. En plus, on a le sentiment que tout le monde s'est bien investi dans ce projet, qu'ils en sont tous fiers et ça aussi ça fait plaisir.
Ma conclusion est assez simple. Allez voir Le Chant du Loup au cinéma, pour le voir dans de bonnes conditions et profiter au maximum de son ambiance sonore. Si vous en avez marre de voir que le cinéma français se résume à des comédies lourdingues et des drames sociaux, soutenez ce genre de projets. C'est la seule manière pour qu'on puisse avoir le droit à d'autres films encore plus ambitieux, variés et maîtrisés.