Rideau
Le Chat c’est la fin d’une ville, d’une époque, d’un couple et de deux vies. Duo d’acteurs au sommet avec des gueules pas possibles comme l’on en voit peu voir plus et c’est dommage car à l’ère du...
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le 15 oct. 2013
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Voilà un film dont j’aurai augmenté la note après un second visionnage. La première fois, j’y ai vu une farce, un truc bien grinçant typiquement franchouillard à faire pisser un chat par la patte. Hier soir, surprise, j’ai découvert certaines richesses, quelques subtilités à côté desquelles j’étais passé lors du premier visionnage.
Ce film repose sur les larges épaules épaisses, monolithiques et grasses de deux acteurs, monstres à part entière que sont Jean Gabin et Simone Signoret. Ils ne font pas du cabotinage, mais gueulent parfois comme de vieux cabots décatis un peu rouillés. Jean Gabin est comme un peu « très âgé » dans cette histoire, comme dans la vraie vie : il en fait 77 mais en réalité il n’en a que 67. Les cheveux d’un beau blanc neige, le regard vif et clair, lassé, et cette bouche, que dis-je, ce clapet de bestiau énorme, ces joues de bouledogue. Doté d’un air pépère, sa démarche nonchalante ajoute un air quasiment absurde, décalé. Les répliques les plus cinglantes sont proférées avec cette voix très basse, lasse, et n’en ont que plus d’impact. En face, il y a Simone Signoret, bâtarde, claudiquante jusqu’au ridicule, au visage ingrat marqué par le duo de choc « alcool – clope » et les affres d’une longue vie loupée de trapéziste virtuose.
Les deux s’entendent comme chiens et chats. Le passé un peu fané de ce couple qui bas de l’aile est bel et bien derrière eux : quelques flash-backs passent comme un chat sur la braise mais rendent compte tout de même d’un bonheur datant de plusieurs siècles. Les voix hors-champ des images relatant les souvenirs laissent à penser qu’il est peut-être préférable de ne pas montrer ce qu’étaient alors les visages des deux protagonistes, pour nous préserver d’un gâchis évident du temps. Le personnage de Jean Gabin est un de ces grands frustrés de la jeunesse, défraîchi, qui a peur d’admettre qu’il est trop tard, qu’il ne plus vivre en « jeune ». Quand Signoret lui demande les raisons de son comportement, de son mépris envers elle, il répond « je voudrais me réveiller avec un cœur de jeune ! » ; dans une autre scène, il voit une moto qui lui rappelle celle qu’il avait 35 avant, en …1934. L’heureux propriétaire de la bête l’ignore, et avant de partir en trombe, renvoie avec mépris l’ours à son époque de vieux fossile. Voilà pourquoi Gabin est éteint de l’intérieur. Il retrouve néanmoins un pseudo goût à la vie, fallacieux, naïf, en « hébergeant » un chat, LE chat dont il est question. Ce chat est un exorciste, et conjure un tant soit peu les souffrances et frustrations du vieux qui profite de cette aubaine. « Le chat aime manger le poisson, mais pas le pêcher. »
Clémence, le personnage de Simone Signoret, voudrait que son mari la regarde plutôt que ce matou dodu. Elle souffre elle aussi d’être passée à côté de ses rêves, de cette vie qui n’est pas une vie de chat, et noie son destin qui a déjà pris des allures de tragique dans l’alcool pour mieux supporter cette condition humaine qui se délite sous son toit. Elle regarde par la vitre régulièrement, et, bien souvent, ne peut que constater malgré elle la progression des travaux de destruction du quartier populaire autrefois si accueillant et prospère. Les images passées d’une autre époque (la préhistoire) subliment l’endroit pour mieux, encore une fois, constater les affres du temps, le changement de rythme d’une société qui ne cesse d’avancer sans s’occuper de ses aînés, personnes âgées respectables ou vieux croûtons qui puent du cul. Ces plans au ralenti de la grue cassant d’anciens immeubles malades n’est autre que la vie qui se termine, qui se désagrège, une histoire déjà oubliée qui s’effrite tels ces logements qui n’ont plus d’occupants.
Un mur gigantesque est détruit, et s’effondre. L’action est presque belle. Miroir de la vie qui se fracasse, qui s’ébranle. Une vie se termine, c’est comme ça, il faut appeler un chat un chat. Un courrier d’expropriation de la mairie ne désole même pas le couple. Signoret s’en amuse et rit jaune ; Gabin dit « tant mieux ! », comme si le destin était en retard sur l’horaire, et qu’il avait lui-même envie d’en finir.
Gabin est rongé de maux qu’il n’exprime jamais, le personnage de Signoret s’y trompe, et après avoir commis une faute (je ne dévoilerai pas laquelle mais bon il n’y a pas de quoi flinguer un chat), voit son mari lui dire qu’il ne lui parlera plus jamais. Tout est mort et il n’y a même plus de communication possible. Gabin a encore des sentiments pour sa femme mais ils sont trop enfouis et ne resurgiront que trop tard.
Mieux vaut un chat et vivre jusqu’au bout que pas de chat du tout et découvrir, au soir de sa vie qu’on n’a pas vécu.
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le 10 mai 2013
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