Le Chat à neuf queues par Gilles Da Costa
1287467343Le chat à neuf queues est souvent considéré comme un giallo mineur dans la filmographie de Dario Argento. Le réalisateur lui-même le tient pour un de ses films les plus faibles (no comment Dario, no comment...). Pourtant, ce deuxième long métrage du maestro de l’horreur transalpine après L'Oiseau au plumage de cristal installe plus fermement encore les bases stylistiques du metteur en scène et, même si il n’est clairement pas aussi flamboyant que ses futurs chefs-d'oeuvre comme Les frissons de l’angoisse, Suspiria, Opéra ou Ténèbres, il n’en demeure pas moins un film extrêmement solide porté par un casting impeccable et une réalisation déjà très assurée. Réhabilitation !
Un jeune reporter et un journaliste aveugle à la retraite enquêtent sur une série de meurtres ayant un lien avec les mystérieuses recherches menées par un laboratoire pharmaceutique. En cherchant à démasquer le tueur, ils lèvent progressivement le voile sur une affaire aux ramifications bien plus étendues qu'ils ne le pensaient et les pistes s'accumulent rapidement, apportant plus de questions que de réponses. Plus ils se rapprochent de la vérité, plus leur sécurité semble compromise.
il-gatto-a-nove-codeA sa sortie dans les salles italiennes au début de l’année 1970, L'Oiseau au plumage de cristal rencontre un succès honnête, mais ses résultats au box-office ne sont pas suffisants pour affoler les studios et faire de Dario Argento un metteur en scène recherché. Ce n’est que quelques mois plus tard que le film, exporté dans un petit circuit de salles indépendantes aux États-Unis sous le titre The Gallery Murders, devient une véritable sensation du cinéma de genre, alors que la mode des midnight movies s'apprête à exploser sur la côte est grâce à des films comme El Topo et plus tard La Nuit des morts-vivants.
Argento est alors logiquement approché par une cohorte de producteurs lui proposant divers projets taillés sur mesure pour un marché américain assoiffé de tueurs gantés et d’intrigues à tiroirs. Il accepte finalement la proposition du mythique producteur Goffredo Lombardo (Le Guépard, Rocco et ses frères) et s'attelle à l’écriture d’un nouveau giallo, aidé à la tache par ses amis Luigi Cozzi (réalisateur de l'inénarrable Starcrash) et Dardano Sacchetti (collaborateur de Lucio Fulci sur L'enfer des zombies, Frayeurs et L'au-delà notamment). Partant encore une fois d’un titre poétique pour broder l’intrigue de son film, Argento s’inspire cette fois du livre Cat of Many Tails, un roman écrit en 1949 par l'américaine Ellery Queen, pour inventer la variation The Cat o' Nine Tails, faisant également référence à un fouet utilisé dans l'armée britannique jusqu'au 19ème siècle.
seventwenty-cato9tails.mkv_snapshot_00.01.35_[2012.02.17_21.02.50]Co-financé par la National General, une importante compagnie américaine ayant offert une grosse somme d’argent à la Titanus de Lombardo pour un autre film signé Argento, Le chat à neuf queues doit être formaté pour le marché nord-américain. De ce fait, Dario envoie son producteur de père Salvatore Argento aux États-unis afin d’y dénicher des acteurs du cru. Miraculeusement, et sans lire une seule ligne d’un scénario encore en cours d’écriture, le grand Karl Malden (Sur les quais, Un tramway nommé désir) accepte de participer au projet. Il sera accompagné en tête d’affiche par James Franciscus, un habitué du cinéma de genre ayant déjà œuvré dans des productions reconnues comme La vallée de Gwangi ou Le secret de la planète des singes.
C’est assurément cette inclinaison anglo-saxonne marquée, imposant une approche finalement assez neutre, qui déstabilise l’amateur de gialli traditionnels habitué à un certain fétichisme, un univers fortement sexualisé et surtout un formalisme très poussé. Car ici, Argento semble plus proche d’Hitchcock que de Mario Bava et délaisse un instant les fioritures stylistiques propres à sa mise en scène opératique habituelle pour se concentrer sur le développement de son intrigue et la caractérisation de ses personnages. En ce sens, Le chat à neuf queues fait plus écho à des films comme Fenêtre sur cour ou même Le voyeur de Powell et traite son sujet avec une sobriété propre au thriller traditionnel. On évite donc dans ce “whodunit” les meurtres trop théâtralisés et chorégraphiés, le sadisme et les effets de manches virtuoses, pour accorder plus de place à l'enquête et la résolution du mystère au centre du film.
seventwenty-cato9tails.mkv_snapshot_00.16.54_[2012.02.17_21.04.50]Mais cette retenue toute relative n'empêche par Argento d'expérimenter et de proposer de très belles idées qui feront de cette production un des meilleurs gialli de cette année 1971 aux cotés de classiques comme Le Venin de la peur de Lucio Fulci, Journée noire pour un bélier de Luigi Bazzoni et bien entendu La Baie sanglante de Mario Bava. En effet, on remarque par exemple dans Le chat à neuf queues un gros travail sur le cadre grâce à une utilisation déjà maîtrisée de la lentille d’approche bifocale (split diopter) permettant de capturer l’arrière-plan et l’avant-plan avec autant de netteté pour briser notre perception traditionnelle de la profondeur de champs et ainsi créer des compositions uniques. Un effet obtenu au moment du tournage, très peu utilisé à l’époque, dont Brian De Palma s’inspirera quelques années plus tard dans des films comme Phantom of the Paradise, Obsession, Carrie et surtout Blow Out.
De même, Argento commence ici à s’intéresser à la caméra subjective comme moyen d’accentuer l’immersion du spectateur et de lui faire partager la perception visuelle du tueur. Un procédé très utile afin de créer une tension considérable sans montrer le visage du meurtrier, technique que le réalisateur perfectionnera dans Les Frissons de l'angoisse puis Ténèbres pour en faire une de ses marques de fabrique.
seventwenty-cato9tails.mkv_snapshot_00.20.48_[2012.02.17_21.05.02]On constate également un goût déjà très prononcé pour la distorsion temporelle grâce à des effets de montages quasi subliminaux présentant subrepticement des images issus d’événements à venir. Un effet de style assez superficiel dans le contexte de ce film, mais qui préfigure tout de même ce goût de l’ellipse et de la fragmentation du temps qu’on retrouve par la suite régulièrement dans la filmographie du metteur en scène.
Enfin, impossible de ne pas reconnaître le talent unique d’Argento pour la construction d’atmosphères dans les morceaux de bravoure du film. Que ce soit dans l’utilisation assurée des couleurs vives préfigurant Suspiria ou Inferno durant la scène de meurtre du photographe, la parfaite orchestration d’un suspens maîtrisé pour la scène du lait empoisonné ou encore l’utilisation irréprochable de son décor tout au long de la confrontation finale sur les toits; tout ici témoigne déjà d’une belle maîtrise de la grammaire cinématographique.
seventwenty-cato9tails.mkv_snapshot_01.24.37_[2012.02.17_21.14.10]Deuxième partie d’une “trilogie animale”, coincé entre L’Oiseau au plumage de cristal et Quatre mouches de velours gris, Le chat à neuf queues peut être considéré comme un film de transition dans la filmographie d’Argento. Ainsi, on y trouve déjà les prémices de la stylisation qui deviendra sa signature et même quelques traces de son goût pour le fantastique ( dans la scène du cimetière notamment ), quelques années avant un glissement progressif vers le surnaturel et le formalisme assumé. Peut-être handicapé par une intrigue chargée en circonvolutions scénaristiques et une enquête policière omniprésente, on peut imaginer que le résultat final convaincra le réalisateur de laisser à l’avenir plus de place à la poésie et au baroque dans son cinéma. En l’état, Le chat à neuf queues apparaît comme un remarquable terrain d'expérimentations parsemé de belles fulgurances et porté par une excellente bande-originale composée par Ennio Morricone. Un brouillon délectable et sous-estimé annonçant la montée en puissance d’un futur grand du cinéma de genre italien.
Le Chat à neuf queues, de Dario Argento (1971). Disponible en DVD et VOD chez Wild Side