"L'innocence est toujours impossible à démontrer"

Riccardo Freda n'est certainement pas le cinéaste italien le plus connu ni celui auquel on pense instinctivement lorsqu'il faut citer les plus grands metteurs en scène transalpins mais il demeure pour autant une figure majeure du cinéma de genre d'après-guerre et peut être considéré d'une certaine façon comme le père spirituel de cinéastes comme Mario Bava et Dario Argento. S'opposant au néo-réalisme alors en vigueur qui représentait frontalement des réalités sociales, il privilégie l'imaginaire, la fantaisie et le spectacle dans une volonté évidente de divertir tout en explorant des thématiques universelles. En bon touche-à-tout, il aura notamment mis en scène des péplums, des films historiques, des films de cape et d'épée, de l'Eurospy et un quatuor de films gothiques/fantastiques : Les Vampires, Caltiki, ainsi que le diptyque sur le Professeur Hichcock préfiguré dans un sens par le film qui nous intéresse aujourd'hui, au moins d'un point de vue esthétique et dans l'anticipation de certains motifs.

Le Château des amants maudits réalisé en 1956 s'inspire d'un fait-divers de la Renaissance romaine, le procès et l'exécution d'une jeune aristocrate nommée Beatrice Cenci accusée de parricide. Suivi avec grand intérêt par l'opinion publique, Beatrice attirait la sympathie par sa beauté et son courage, celui de se rebeller contre un père incestueux et brutal qui la violentait. Depuis lors entré dans l'imaginaire collectif italien, le récit a influencé à de nombreuses reprises la littérature et le cinéma et demeure une incarnation d'un combat féministe d'avant-garde. Freda s'en empare pour tisser une réflexion à la fois historique et universelle sur la justice, la vengeance et le poids des conventions sociales. Il choisit aussi délibérément de prendre des libertés historiques pour accentuer le côté dramatique et tragique. Beatrice devient ainsi la victime d'un complot ourdi par son frère et sa belle-mère. Il y a d'ailleurs dans ce choix la volonté du réalisateur de faire un vrai mélodrame marqué par la fatalité où l'Homme est un jouet dans les mains des Dieux, en l’occurrence de Freda qui développe son scénario.

Le travail sur la lumière et les couleurs de Gábor Pogány, un chef opérateur hongrois, crée d'entrée la singularité de l’œuvre. Le résultat peut être considéré comme la représentation d'un expressionnisme en couleurs où l’objet filmique matérialise ici l'espace mental de l'héroïne qui rêve en dehors de toute réalité. Le château, lieu principal de l'intrigue est oppressant et ses décors exploités pour renforcer le sentiment de claustrophobie et d'inexorabilité du destin. Les nombreux contrastes d'ombres et de lumière jouent aussi sur cet aspect. La mise en scène de Freda parvient notamment grâce à certains trucages et au mélange entre prises de vues réelles et maquettes à donner beaucoup d’opulence et de faste au récit, tout ça malgré des moyens financiers assez limités.

Mireille Granelli une jeune actrice française est choisie pour jouer le rôle principal à la suite d'un casting improvisé dans le bar d'un hôtel à Paris. Elle est la parfaite incarnation de la beauté et de l'innocence juvénile attribuée à son personnage, à la fois vulnérable et déterminé face à un système qui ne lui permet pas de s'émanciper. Gino Cervi est à l'opposé glaçant dans son rôle de père abusif et cruel. Le reste du casting est également bien utilisé et contribue à étoffer l'intrigue.

Le film n'en est pas moins audacieux surtout pour l'époque dans la représentation malsaine et dégénérée qu'il fait d'une famille aristocratique où se mêlent inceste, adultère passionnel, mensonges et complots meurtriers et une fois de plus c'est la couleur et la mise en scène qui viennent souligner cet état de pourrissement.

Méprisé par la critique de son époque et accueilli comme un mélodrame de plus, Le Château des amants maudits mérite largement l'exercice du nouveau visionnage et de la réhabilitation. Ambitieux visuellement et formellement, cette pierre angulaire du cinéma de Ricardo Freda est également précurseuse dans le développement d'un cinéma gothique en Europe.

Zoumion
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