A l'origine, c'est Ernst Lubitsch qui devait réaliser ce film, mais la maladie l'obligea à abandonner le projet, repris par Mankiewicz qui en était déjà le scénariste. Ce qui n'aurait pu être qu'une oeuvre de commande devient alors un fulgurant premier film pour Mankiewicz dans lequel on peut déjà déceler certains de ses thèmes. Le roman adapté ressemble à ces romans anglais romanesques dans le style de ceux de Daphné Du Maurier, où l'action est presque quasiment confinée dans ce château ténébreux de Dragonwick ; un romanesque moins apparent qu'il n'y parait, mais Mankiewicz se sert de façon habile de ce décor théâtral du château et qui fait un peu penser au roman de Du Maurier, Rebecca et au film d'Hitchcock qui en fut tiré.
Si la mise en scène reste assez théâtrale par son décor statique, le réalisateur sait tirer parti des caractères : le personnage de Miranda incarné par une Gene Tierney fascinante, propulsé dans un milieu qui n'est pas le sien, et qui va découvrir la vérité derrière les apparences... et surtout le personnage de Van Ryn, être amoral, cynique, au charme maniéré et plein de suffisance, magistralement incarné par Vincent Price dont l'étonnante diction prend ici une importance particulière.
Avec ce premier film, Mankiewicz pénétrait dans la cour des grands en traduisant la splendeur gothique du roman et en imposant un univers sombre, angoissant et inquiétant. On y décèle aussi sa jubilation dans la direction d'acteurs.