Une affiche de film qui résume tout à fait le drame dans lequel nous emmène le metteur en scène : les tons sombres, deux enfants, l'une portant l'autre, protectrice comme pourrait l'être une mère, qui marche vers leur destin (?), un regard volontaire et des barbelés pour rappeler la condition des aborigènes, un ciel menaçant pour nous raconter le voyage difficile.
Un métrage «étonnant», surtout dans la carrière de Phillip Noyce («Calme blanc», «Le saint», «Vengeance aveugle», «Bone Collector»…) et même si l'aspect temporel fait défaut, le cinéaste nous brosse une belle fable pour la liberté. Un film poignant et tendu...mais qui ne vaudra pas par ses scènes d'action.
Tiré de faits réels et d'une biographie «Follow the Rabbit-Proof Fence»(1996) de Doris Pilkington Garimara (une des filles de Molly Craig), le film relate le parcours sur 2000 kilomètres en quelques trois mois, de trois jeunes filles, respectivement âgées de 14, 10 et 8 ans, évadées du centre de rééducation, pour rejoindre leurs terres. Vivant de chasse, de cueillette et parfois de la solidarité de bonnes âmes rencontrées.
Vivant à Jigalong, au bord du Little Sandy Desert, en Australie occidentale, avec sa famille, Molly fille d'un blanc, est donc métis et vouée à partir. Ces enfants seront à des milliers de kilomètres de chez eux, transférés au camp de Moore River Native, près de Perth, parqués dans des grands hangars insalubres, vêtus d'uniforme, et bénéficiant de soins approximatifs.
Le jeu des actrices juste, naturel et spontané porte le film, (Gracie/Laura monaghan), (Daisie/Tianna sansbury) (Molly/Evelyn Sampi) et vaut surtout pour la «meneuse» Molly, où sa volonté se ressent dans toutes les situations vécues. Les dangers du voyage et les punitions qui résulteraient de cette évasion, n'empêcheront pas son besoin de retrouver sa mère.
S'engagera alors une traque à travers le désert, Neville lancera un policier (Jason Clarke -"zero Dark thirty", "Everest"…) et son tracker, Moodoo (David Gulpilpil), employé par la mission spécialement dans le but de rattraper les évadés, à leur poursuite pour les enfermer de nouveau à la mission ; Moodoo lui aussi sous le joug de l'homme, finira -t-il par se rappeler qui il est...(?)
La loi «Aborigenes act» avait le pouvoir de «retirer de sa famille» et de «contrôler tous les actes de la vie», de n’importe quel métis, où qu’il soit dans l’État de l'Australie occidentale. Son chef A.O. Neville, était le «Protecteur et tuteur légal des Aborigènes» …/…
Kenneth Branagh campe cet homme rigide, partisan d'un eugénisme naissant (cherchant à éradiquer le sang noir par des mariages arrangés qui à terme maintiendraient la race blanche dans sa toute puissance et...légitimité). Fonctionnaire en charge de veiller et d'éduquer tous ces enfants, il dira bien souvent : «c'est pour leur propre bien», l'air abattu, de ne pas être compris dans sa grande mission. D'ailleurs la scène où il expliquera l'intérêt de la politique d'éradication à l'aide de multiples outils à sa manipulation auprès de personnalités bien pensantes, mais aussi crédules, fait froid dans le dos et se révèlera bien réductrice.
Des moments d'émotion, notamment la scène de séparation en introduction qui résume bien l'impuissance de ces familles, et donne une image forte de ce que pouvait être la violence de la politique gouvernementale. Et de bons moments aussi pour ces jeunes filles qui tenteront d'échapper à la traque, en effaçant leurs traces (contrairement à leur culture), marchant dans l'eau, faisant des demi-tours, dormant dans les bras l'une de l'autre, chapardant quelques affaires...
Souvent silencieux, le film évite tout dialogue inutile, ici, le vide complète le message du réalisateur pour nous signifier la longue lutte constante des tribus nomades.
La narration passera des uns aux autres, de la ville de Neville et du cadre de vie bureaucratique dans lequel il opère, à la poussière du désert et la liberté. Le choc est donc montré entre les deux cultures, en jouant sur les règles pour Neville et le lien fort avec la nature pour Molly, la jeunesse et pourtant la maîtrise de son environnement, alors que Neville se sert constamment de cartes pour se repérer. L'opposition est confirmée par les nombreux plans de la barrière. (Le titre original du film «Rabbit-proof Fence» rappelle cette fameuse clôture construite pour délimiter les territoires et pour protéger les terres agricoles colonisées des lapins introduits par les colons eux-mêmes, au détriment de la flore et de la faune et laissant les aborigènes se débrouiller avec…).
Un rapport assez fort à la religion se fait tout au long du film, les sœurs strictes et peu enclines à la compassion sont le pendant de Neville qui ne s'émeut jamais des situations dramatiques dans lesquelles ils plongent les familles. Lorsqu'il regarde la couleur de peau des enfants il le fait devant l’Église, il est le maître des lieux, le Dieu tout puissant, celui qui décide de tout. D'ailleurs, les enfants n'hésiterons pas à l'appeler le diable : «Deville». Prières, chants et refus du langage aborigène. Les plus chanceux, à peau claire, avaient droit à l'éducation, les autres finissaient esclaves par le travail et le placement dans des familles, ou violentées par leurs «propriétaires»…La scène de coupe de cheveux d'une pensionnaire ayant désertée un court instant le centre pour voir son amoureux, signifie bien la main mise de ces institutions et de rappeler que ces enfants ne s'appartenaient plus.
N'oubliant pas de magnifier les décors en leur apportant une dimension grandiose, les prises de vues de nuit, l'immensité du ciel, les bruits du vent sur de la tôle, accompagné par la musique de Peter Gabriel, les couleurs parfois criardes, sont des atouts indéniables pour mettre en valeurs les grands espaces désertiques et l'isolement du Bush australien, filmant bien souvent entre ciel et terre.
Le plan séquence du début, sur le paysage qui s'affirme au fur et à mesure du rapprochement de la caméra rappelle les dessins et peintures des aborigènes en hommage à leur terre. L'aigle qui accompagne le dialogue en voix off de Molly en début de film et à la fin de son périple, pour un autre hommage aux croyances et à leur lien avec les esprits.
La séquence dans le désert est une de plus belles par la signification d'une renaissance, et du retour aux sources de Molly, elle «revit», elle rentre chez elle, elle sera guidée par les chants de sa mère et de toutes les femmes de la tribu sous le vol bienveillant de l'aigle-esprit, qui réapparaît et finira de la guider.
La fin du film reprend la dimension autobiographique avec l’insertion d’images de la vraie Molly adulte en train de marcher avec sa sœur, et reprend la voix off du début, pour terminer son histoire en nous ramenant au présent.
Pour ceux qui souhaitent en connaître plus, il y aura évidemment, un manque d'approfondissement du contexte politique du pays et des réelles motivations du gouvernement britannique, notamment de Neville, ne permettent pas de s'immerger dans le drame historique, la question de la stérilisation appuyée en 1934 par le ministre de l'intérieur, n'est pas évoquée. Le deuxième emprisonnement de Molly et les conséquences psychologiques induites ne sont qu'effleurés dans la fin du film avec Molly elle-même. Mais le metteur en scène aura pris le parti d'un film « d'aventures » plutôt que d'un thriller politique et le message passe pour nous offrir finalement un beau conte.
Un rappel à la mémoire pour ces décisions gouvernementales à faire main basse sur une culture, encore et toujours. Ces enfants appelés « génération volée » et leurs descendants subissent encore aujourd'hui le contrecoup de cette période qui a duré approximativement de 1900 à 1970. Toutes les mères n'ont pas pu retrouver leurs filles ou auront passé tout leur vie à leurs recherches. Quelques 30000 enfants seront ainsi enlevés à leur famille entre 1900 et 1960. Le protectorat britannique a spolié les terres des aborigènes et perpétré également un génocide, qui a encore du mal à être reconnu aujourd'hui, ramenant de 500000 environ, à 31000 en 1911 la population aborigène totale.