Le Chien des Baskerville
6.4
Le Chien des Baskerville

Téléfilm de Barry Crane (1972)

"L'Homme peut créer le Mal mais il ne peut jamais le contrôler"

Sympathique adaptation du célèbre Chien des Baskerville que ce téléfilm de 1972, quoique elle possède son lot de belles surprises autant que son lot de défauts qui, au final, respectivement l'embellissent ou la ternissent.


Agréable en surface, elle l'est, car elle dispose d'un casting pour le moins étoffé, assez inattendu et remarquable dans son jeu.
Stewart Granger, vedette fétiche de Richard Thorpe et Richard Brooks, y campe un excellent Sherlock Holmes ni poussiéreux ni extravagant, ce qu'il y a de plus juste. Mais il ne plaira certes pas aux aficionados des versions de Downey Jr, Cumberbatch ou Lee Miller. Il donne la réplique à Bernard Fox, dont on se souvient souvent trop pour le rôle de l'excentrique Winston de La Momie de Stephen Sommers. Un très bon John Watson.
Autour d'eux et face à eux, un Anthony Zerbe (Permis de tuer, Matrix Revolution) très jeune et plus convaincant qu'à l'ordinaire dans le rôle d'un Dr Mortimer plus trouble que de coutume. Mais aussi John Williams - l'acteur connu pour son rôle de proto-Columbo dans Le Crime était presque parfait, par ailleurs vedette fétiche de Hitchcock, non le parolier traducteur, lequel ne prend pas d'-s, encore moins le compositeur que l'on sait - plutôt jouissif en procédurier et meilleure incarnation à ce jour de Frankland. Pour finir, William Shatner, ex-Capitaine Kirk de Star Trek, assez décevant, du moins peu impliqué dans le film.
Un point supplémentaire pour la VF, très mélodieuse pour qui aime les grandes voix du doublage. Car alors, ce sont Bernard Dhéran, généralement reconnu comme la voix d'Anthony Hopkins et de David Niven mais qui a également prêté son timbre unique à Sean Connery, à Ian Mackellen et à Christopher Lee (notamment, dans une version du Chien des Baskerville), et le dieu (encore vivant tandis que je tape ces mots) du doublage Roger Carel qui incarnent le tandem Holmes-Watson.


Ce qui l'embellit sur un plan plus narratif que bassement technique, ce sont ses bons choix d'écart esthétiques.
Ainsi, le Docteur Watson de Bernard Fox se distingue-t-il des autres en n'opérant aucun choix entre le "bon" Docteur Watson pur repoussoir du fin limier et John H Watson, docteur revenu de la guerre, héros à part entière dont la présence sert à mesurer le génie comme la folie du détective en comparaison avec la normale. Le Dr Watson de ce film constitue un savant mélange des deux et se fait par moment bien naïf et par moment plus clairvoyant que Sherlock Holmes. Il découvre par exemple une trace de brûlure dans le bureau de Charles de Baskerville que son ami surdoué n'avait pas su remarquer. Mieux encore, c'est lui et bien lui qui résout l'affaire en analysant le portrait de Sir Hugo de Baskerville. Alors, oui, on peut s'exaspérer de cette dualité de lucidité et de simplicité. Mais si l'on est dans ce cas, on ira lire à profit Casino Royale afin se rendre compte que cette même dualité est bien plus exaspérante chez le 007 de Ian Fleming.
Autre belle trouvaille, digne d'un Pierre Bayard, la suspicion qui pèse sur le pourtant bienveillant Dr Mortimer. Incarné par un habitué aux rôles de personnages perfides, son interprète guette par les fenêtre, récupère la passion de Stapleton pour la paléontologie et tient des discours un peu inquiétants, bordés par son regard sadique. La fausse piste menant à Mortimer est si bien exploitée que la scène même du portrait, instant crucial de l'intrigue, porte sa marque: Stapleton s'est amusé à altérer le visage de Sir Hugo pour qu'il ressemble à celui de Mortimer ! Une trouvaille plutôt géniale qui n'a d'égale que son effet néanmoins destructeur: elle ne peut exister qu'au détriment de Stapleton, qui se retrouve par voie de conséquence totalement sous-traité. Ce qui est dommage.
Cela dit, Stapleton a, en contre-partie, droit à un final extrêmement réussi, ponctué de la plus belle réplique du film.


C'est, au risque de m'abuser, l'unique fois qu'une adaptation du plus célèbre des romans de Conan Doyle retourne le terrible chien contre son maître pour les faire tous deux projeter en enfer en les faisant aspirer par des sables mouvants.


Devant cet ironique et triste spectacle, Sherlock Holmes déclare solennellement: "L'Homme peut créer le Mal mais il ne peut jamais le contrôler".


Une fin ironique pour Stapleton qui est bien préparée puisqu'elle fait admirablement écho à l'une des premières scènes du film qui se payait le luxe de narrer lui-même et par l'image la légende des Baskerville et la mort de Sir Hugo. D'ordinaire, comme c'est le cas das le roman, Mortimer assure le récit et quelques images fugitives peuvent éventuellement l'illustrer. Cette adaptation, comme celle de la Hammer, fait le choix de mettre la légende en avant, en en faisant une scène à part entière, introduite par Watson.
Et ce n'est pas le seul élément d'ordinaire sacrifié qui trouve une meilleure place: la géographie de la lande est bien plus explicite et bénéficie d'un majestueux décor, le Puits du Diable et les mines mises en avant dans la version de Fisher sont également plus présentes que dans l'ensemble des autres versions et, surtout, le personnage de Frankland, auquel la série Sherlock a entre temps rendu plus justice encore, ainsi que celui de sa fille sont bien plus mis en relief et même mieux interprétés que jamais.


Cela dit, malgré ces clartés qui embellissent le tableau, subsistent quelques taches qui, elles, le ternissent.
Comme les reflets difformes aux bons écarts esthétiques, plusieurs effets de narration du livre sont désamorcés, à se demander qui est visé par le film. Les spectateurs avertis, qui ont lu le roman, ou les spectateurs naïfs, qui le découvrent. Toujours est-il qu'aucun ne tireront quoi que ce soit de plaisant de cet embarrassant tic consistant à casser tout suspens. Un suspens, sacrifié au rythme, sans doute !


Par exemple, le lien de parenté de Mme Mortimer avec Selden est d'emblée révélée par les expressions du visage du couple Barrymore lorsqu'on annonce sa mort présumée en début de film.
De même, le suspens du roman nous fait croire que le chien a eu Henry avant de faire rire Sherlock Holmes qui comprend à un détail que le cadavre est celui de Selden. Une nouvelle fois, le film se contente d'un échange de réplique: "Henry est mort !" / "Non, Watson: c'est Selden". Expédié, c'est pesé !
Et ce n'est pas le seul rire diabolique du limier, si propre à cette aventure en particulier, qui se trouve sacrifié dans ce film. Qui ne se rappelle pas de cette mémorable fin de poursuite de fiacre, lorsque le chauffeur annonce à Holmes que son passager a déclaré s'appeler Sherlock Holmes ? Et Holmes de partir dans un ricanement digne de Moriarty ? Eh bien, dans cette version, c'est Holmes lui-même qui déduit à la description du chauffeur que l'on se fait passer pour lui. Point de rire diabolique mais un Watson scié par son talent.
Sans compter (ou conter, faîtes votre choix) la fameuse fausse absence de Sherlock Holmes au Dartmoor ! Holmes, cette fois, ne s'absente pas. Ou plutôt si, puisqu'on lui envoie un télégramme. Autrement dit, pour surprendre, le film cumule les écarts esthétiques et tourne en rond autour du texte: l'éloignement de Holmes est différé tant pour le rendre plus présent que pour surprendre les lecteurs aguerris du Chien des Baskerville. Ce qui en soi peut paraître une bonne idée comme un gloubi-boulga d'astuces narratives.


En outre,la volonté de faire un Sherlock Holmes tel qu'il reste dans les esprits se fait vivement sentir. Les tropes de l'ensemble des écrits sont sur-utilisés et les traits caractéristiques du roman dans sa singularité sont, quant à eux, sous-exploités.


Ainsi, Sherlock Holmes va-t-il se déguiser en bagnard évadé type Selden pour se déplacer dans la lande lorsqu'il est censé être rentré à Londres. Il est vrai que le détective expert en déguisement ne se déguise pas dans Le Chien des Baskerville, ce que le téléfilm semble interpréter comme une faute et corrige en justifiant une scène de démaquillage.
De même que les Irréguliers de Baker Street, Wiggins à leur tête, semblent inextricablement liés à Sherlock Holmes. Le téléfilm leur trouve une place en la personne d'un dénommé Cartwright et itre au ridicule: le jeune garçon se retrouve on ne sait comment jusque dans la cachette de Sherlock Holmes dans la lande. Les esprits mal placés y verront peut-être une relation pédophile, les esprits plus sains et par plus rationnels se demanderont surtout comment Holmes est parvenu à faire venir dans le plus grand secret un jeune garçon des rues londonienne jusque dans le Dartmoor pour s'occuper de sa petite personne ... Le comble étant que


cette adaptation prend le parti du rationalisme. Holmes n'oppose-t-il pas d'emblée à Watson l'idée qu'il a vu des hommes dont les actes rendaient l'intervention du diable ou de quelque force obscure totalement inutiles ? Pour cette raison, l'ambiance de terreur, si bien posée dans d'autres adaptations est en bonne partie gommée. On voit d'ailleurs plus souvent la ville qui jouxte la lande plus que la lande elle-même. Et pour ce qui est du chien, il est assez réaliste, de taille moyenne. Il est à l'image du film. Ce n'est pas sa stature colossale ou la légende qu'il l'entoure qui ont font un danger redoutable: ce sont la haine et la rage qui le galvanisent qui le rendent éventuellement effrayant. Il demeure plus efficace que le chien rachitique du film de la Hammer.


Rafraîchissant, animé de bonnes intention, tiraillé entre fidélité et écart esthétique, ce Chien des Baskerville vaut le détour. Néanmoins, il n'installe pas le climat de terreur qu'attendront beaucoup, reléguant le chien et sa légende à l'arrière-plan et s'écarte du récit original pour le meilleur comme pour le pire.
A voir après lecture du roman pour jouer au jeu des différences avec le film.

Créée

le 27 janv. 2019

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Frenhofer

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