En 1935 un intellectuel de Turin, Carlo Levi, est condamné par le gouvernement fasciste à trois ans de résidence surveillée dans un village reculé de la Basilicate, proche d'Eboli.
Aucun commerce dans ce village, pas de vrai docteur alors que sévit la malaria (le paludisme), et une misère qui contraint les paysans à sacrifier leurs chèvres, en raison d'un impôt instauré sur le bétail.
« Non siamo cristiani. Cristo si è fermato a Eboli » — « Nous ne sommes pas chrétiens. Le Christ s'est arrêté à Eboli. » C'est à cette expression paysanne qui sous-entend que même le christianisme n'a pas pénétré sur cette terre déshéritée que le livre de Carlo Levi doit son titre. Et effectivement Francesco Rosi nous montre la fracture économique, culturelle et religieuse qui existe entre le Nord de l'Italie riche et moderne et le Sud très pauvre. On s'étonne des superstitions qui gouvernent la vie quotidienne: rubans noirs en haut des portes, pièce placée sur le front des malades; à l'inverse le curé n'a aucune autorité et se fait jeter des cailloux par les gamins du village.
Mais le propos n'est pas en premier lieu celui d'un documentaire social sur la distance entre l'Etat à Rome et les paysans du Sud comme on pourrait s'y attendre. Ce n'est pas non plus ou pas principalement un pamphlet politique qui dénoncerait la politique guerrière inutile et coûteuse de Mussolini en Abyssinie alors que les paysans triment dur pour tenter de subsister dans la plus grande pauvreté. Le propos principal n'est pas non plus de montrer le pouvoir quasi absolu du podestà, de sympathie fasciste, sur la population du village. Non, le film montre avant tout et en dépit des contraintes la vie dans sa simplicité au sein d'un habitat naturel encore préservé, et dès lors la présence possible des dieux païens dans un paysage bucolique qui semble ne pas avoir bougé depuis deux mille ans. Au milieu des villageois, sous les yeux du peintre et écrivain Carlo Levi, ne serait-ce pas des divinités protectrices qui vont se manifester, sous la forme d'animaux ou de simples mortels, comme chez Homère?
Saturne, le dieu en sommeil, pourrait se manifester sous les traits du vieillard couché le baron Rotundo (Alain Cuny). Bacchus pourrait apparaître sous les traits du curé porté sur la bouteille (François Simon). Minerve, la déesse de la sagesse, patronne des métiers manuels, n'apparaît-elle pas sous les traits de la domestique Giulia (avec le visage d'actrice tragique d'Irène Papas)? Après avoir été mis à l'épreuve par les dieux, Carlo Levi (le charismatique Gian Maria Volonté) réussira à se les concilier par son attitude respectueuse. En récompense, les dieux lui accorderont un respect total de la part des villageois, une sorte de dévotion réservée seulement à un demi-dieu. A moins que ce ne soit au dieu de la médecine Esculape, incarné probablement par le chien Barone, acclamé aux côtés de son maître. Une pluie bienfaitrice, comme envoyée sur ces terres arides par Jupiter en personne, accompagne leur départ.
Après cet exil forcé en forme d'initiation, la punition de Carlo Levi pourra être levée et il pourra enfin exercer avec une confiance renouvelée sa vocation première: la médecine.