Je viens de finir le roman, je voulais voir le film. Pour ceux qui ne connaissent pas, "Le Christ s'est arrêté à Eboli" est inspiré d'un roman autobiographique de Carlo Levi qui raconte son confinement, pendant plus d'un an, dans un petit village de Basilicate, en 1935, alors que le fascisme italien part à l'assaut de l'Ethiopie. L'auteur s'improvise docteur contre la malaria rampante et se fait à la vie de ce village déshérité, où les superstitions, les haines sociales, la résignation des paysans semblent sans remède. A noter une petite différence dans la scène du sermon de noël : chez Rosi, le curé critique ouvertement l'aventure éthiopienne pour faire sortir le podestat de ses gonds, alors que dans le roman, c'est juste que la mise en scène du curé ne marche pas.
C'est fidèle, beaucoup d'anecdotes du roman sont bien amenées. Le réalisateur a dû renoncer à montrer l'escapade à Matera, qui aurait pris trop de temps. D'autres épisodes sont condensés, mais bien. Il n'y a que deux scènes qui ne m'ont pas trop convaincu : la scène finale du départ, que je trouve en-dessous de ce que fait Rosi par ailleurs ; et la longue scène de dialogue sur les deux Italies avec le podestat, car ce personnage est censé rester un idiot imbu de son autorité, et cette scène lui donne un peu plus d'importance que nécessaire.
Ce n'était pas facile de mettre en scène un tel roman, et Rosi y arrive bien, grâce à une direction d'acteurs imparable. Il y a toujours chez ces réalisateurs italiens un instinct pour trouver le gars qui aura la bonne trogne (mention spéciale au facteur et à Irène Papas). Cela dit, le film n'est pas aussi explicite pour dénoncer la malnutrition des paysans et leur exposition aux maladies : on n'a pas l'impression d'être dans le tiers-monde, alors que dans le roman de Levi, on touche à une misère antique, ancestrale.
En revanche le film véhicule bien cette nonchalance, et aussi cette bestialité latente, ainsi que l'innocence de ces paysans, leur incompréhension vis-à-vis de l'Etat.