Très beau film de Jean Grémillon qui complète une filmographie animée d'un sens social aigu, avec dans Le Ciel est à vous une variation proto-féministe de l'ode à l'émancipation sous l'Occupation. Je n'en reviens pas de cette allégorie de Français plutôt modestes qui nourrissent des rêves dans le ciel et qui s'acharnent autant, après avoir été expropriés, à les accomplir coûte que coûte. C'est très impressionnant, en 1944, de voir Madeleine Renaud s'affirmer face à Charles Vanel sans véritable confrontation, simplement comme une figure de femme forte à une époque où le régime vichyste les maintenait à la cuisine, grossièrement. L'héroïsme est une valeur sans doute compatible avec le pétainisme en 1944, mais quand même, ce vent féministe est une qualité notable.
J'aime beaucoup également comment est mise en scène la passion (pour les airs, en l'occurrence, mais c'est presque secondaire si cela n'avait pas une telle signification), cette flamme qui vacille, qui est mise à rude épreuve mais qui jamais ne s'éteint. La passion qui conduit l'homme à délaisser la famille, le travail, alors que tout roulait convenablement, rendant la femme furieuse avant qu'elle ne soit à son tour contaminée. Portrait de couple aussi, à ce titre, à travers une passion commune, qui les pousse à prendre des dispositions extrêmes (la vente du piano de leur fille, c'est-à-dire le support de sa passion), mais aussi à travers la description soignée de leur quotidien, des contraintes matérielles et des activités diverses, jusqu'à leur isolement progressif du reste de la communauté.
Le dernier grand temps fort du film est en outre très réussi, avec d'un côté la femme lancée seule dans sa longue course (inspirée de l'exploit d’Andrée Dupeyron, épouse d’un garagiste qui battit en 1937 le record féminin de vol en ligne droite) et de l'autre l'homme dans l'attente qui pense avoir tout perdu (avec des coups de téléphone d'abord hargneux, menaçants, et qui se transforment en annonce d'un triomphe). L'aviation pourrait presque paraître un thème subsidiaire, en appui de la peinture d'une obstination tenace. Ou comment une lubie présentée comme immature et irraisonnable se transforme peu à peu en une source d'ivresse dont on tire une certaine hauteur.
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