Je vais partir de ma critique des Temps modernes pour saisir le talent du Cirque qui, à mon avis, est un peu mieux réussi. Dans Les Temps modernes, malgré un humour très adroit, j'avais été quelque peu gêné par l'aspect "éclaté" du scénario qui ressemblait davantage à une succession de sketchs, qu'à une véritable histoire. Les Temps modernes est entré dans les annales de l'histoire du cinéma grâce à la satire du contexte socio-économique, parfaitement illustrée par l'inoubliable scène où Charlot passe dans les engrenages de la machine. Hormis cette scène culte, le reste des farces était drôle, mais on ne ressortait pas non plus ébloui du film.
Si l'on fait la comparaison, ce qui a un sens car les deux films sont des comédies burlesques, Le Cirque est doublement mieux réussi que Les Temps modernes. D'abord, parce qu'il y a une unité narrative - le cirque - absente des Temps modernes. (le personnage ne faisait que vagabonder de lieu en lieu). Le Cirque raconte une bonne histoire. Naturellement, on retrouve la critique sociale, thème très cher à Charlie Chaplin, dans l'exploitation cruelle du cirque par son patron. L'exploitation du "véritable clou du spectacle", sans qu'il s'en aperçoive, sonne malheureusement juste : notre société n'exploite-t-elle pas les véritables génies?
Ensuite, j'ai trouvé l'humour bien meilleur que dans les Temps modernes. Il y a vraiment d'excellents gags. Il y a aussi une méditation sur la construction de l'humour. On ne peut pas forcer quelqu'un à être drôle : ce qui nous fait rire c'est l'imprévu, le décalé. Et en même temps, ce qui est amusant (enfin quand on y pense), c'est que l'humour est toujours construit, puisque Chaplin lui-même, dans son film, planifie de nous faire rire.
Dernier point, mais non des moindres : la musique, composée par Chaplin lui-même comme souvent, est exceptionnelle.. C'est d'ailleurs sans doute sa meilleure musique. Je la préfère en tout cas à la musique finale des Temps Modernes (celle où Charlot improvise une chanson).
Quant à la fin du film, qu'elle est belle, mais triste !! C'est en contraste avec la fin des Temps Modernes ou du Kid. Il n'y a pas toujours de happy end chez Chaplin, ce qui est confirmé par d'autres de ses films plus tardifs. Et c'est tant mieux, car il n'y a pas que le rire dans la vie. En réalité, une telle fin dévoile le lien extrêmement ténu entre comédie et tragédie. Si Chaplin, le maître du burlesque, termine son film tragiquement, n'est-ce pas parce qu'au fond, la comédie est une apparence déformée de la tragédie ? Pour résumer le cinéma burlesque de Chaplin, il s'agit quand même de rire d'un SDF qui s'habille d'une manière grotesque et qui fait des gaffes en permanence : vous avez dit comique ? La fin est triste, mais elle est logique et réaliste. Charlot n'a pas les moyens de séduire la femme qu'il aime, et il finit comme il a commencé: seul et pauvre. On a bien rigolé, mais le retour à la réalité est sans scrupules.