Des clameurs sous un immense chapiteau, des rires aux éclats, des trapézistes et des funambules qui font retenir la respiration du public, des clowns qui viennent faire rire, parfois avec succès, parfois non. La magie du cirque, institution du spectacle par excellence, exutoire où chacun joue un rôle, fuyant son quotidien. Au milieu, un clown triste, qui ne ressemble pas à un clown, mais pourtant, il est bien là avec son chapeau et sa canne. Il est, en quelque sorte, lui-même, Le Cirque.
Quoi de plus approprié qu’un cirque pour laisser s’exprimer le génie de Chaplin ? L’adepte des pitreries en tous genres, clown triste de la vie, observateur et témoin de l’histoire, semble comme revenir à ses origines, dans le temple de l’émerveillement et de la magie. Un temple qui n’est, cependant, pas ici montré sous son meilleur jour, entre la gestion chaotique d’un despote cupide, et l’accueil froid un public hostile et blasé. Comme souvent chez Chaplin, Charlot sera celui qui sera là au mauvais endroit au mauvais moment, mais qui viendra également changer les destins en y prenant part.
Le Cirque s’apparente à une mise en abyme de l’art de Chaplin, où l’artiste fait d’abord du monde qui l’entoure un vaste cirque, où son habile maladresse l’extirpe souvent des situations périlleuses. Il s’improvise automate, il tente d’échapper à ses poursuivants dans un labyrinthe de miroirs dans des scènes superbement chorégraphiées… Si Chaplin semble s’amuser et être en pleine introspection sur son rôle d’artiste et sur l’image de Charlot, cette première partie ne vise qu’à donner plus de sens à la seconde, qui se déroule dans le cirque. Car au-delà de la vision purement comique et magique de cet univers, se dessine également un reflet de notre société à travers l’univers du cirque.
À la manière de Victor Sjöström dans Larmes de clown, quatre ans plus tôt, le cirque est ici un lieu régi par les règles de la société et les rapports de force qui l’animent. Chaplin rend l’artificiel authentique, où chacun joue supposément un rôle qui n’est pas si imaginaire que cela. Cette pression permanente est d’ailleurs d’autant plus perceptible que le spectateur passe d’un monde extérieur au cirque, fermé, où tout se passe en intérieur, dans l’ombre d’un grand chapiteau. Les artistes paraissent libre aux yeux du public, mais ils sont en réalité enfermés, menottés, soumis au regard et au jugement de leur supérieur et du public. L’aspect artistique est alors rétrogradé au second plan, derrière des aspects économiques et sociaux, où ce n’est plus le cœur qui s’exprime mais le portefeuille. L’art devient un produit de consommation, on estime une rentabilité sur la différence entre le nombres de rires et le prix de la place. Pire, l’artiste ne fait plus rire grâce à son talent, il devient un support à moqueries, il fait rire car il est réellement ridicule et humilié. De l’autre côté, la direction écoute ce public et enferme les artistes dans un cercle vicieux.
Et si les artistes sont les protagonistes du film, leur situation demeure transposable avec celle de n’importe qui. Car, comme tous les films de Chaplin, Le Cirque est universel, intemporel, même s’il peut paraître personnel vis-à-vis de la relation étroite entre l’univers du film et l’univers de Chaplin. Les pitreries de Chaplin ne cessent d’émerveiller, même si le film est empreint d’un profond désespoir et d’une profonde mélancolie, qui surgissent notamment lors de la dernière partie du film. Héros d’apparence, Charlot demeure un témoin, un messager, artiste éternel nous invitant, le temps d’une séance, à faire parler notre cœur avant tout.