Le principe est bien rodé : pour nous faire découvrir une communauté, rien de tel que d’y intégrer un nouvel élément qui va nous la présenter à mesure qu’il la découvre C’est ainsi que le retour au bercail du fils hippie va permettre l’immersion dans le clan éponyme, monde viril des bûcherons de l’Oregon.
Une grande partie du film prendra ainsi une tonalité quasi documentaire : abattage d’arbres démesurés, le rapport à la machine, le danger créent une tension croissante, dans la mesure où l’univers de fiction impose l’irruption d’un accident.
Mais cette violence n’est que le pendant de celle, bien plus sourde et épaisse, qui se joue entre les êtres. Autour d’un patriarche (Fonda, royal) rustre et ne jouant son rôle que parce qu’il n’en connait pas d’autre, les désillusions se déclinent : celle du jeune homme, celle de l’épouse et son enfant mort-né, celle enfin d’un passé qui resurgit par couches et dont ne sait pas vraiment quoi faire : la psychologie et le dialogue ne sont pas exactement des éléments auxquels on accorde du crédit.
Ce qui compte, c’est le geste, le labeur, dont naît l’unique fierté du clan. Aussi, quand s’organise une grève collective dans la contrée, c’est l’identité même de la famille qu’on touche : les empêcher d’agir, c’est les réduire à néant.
C’est là l’intérêt précieux du film : alors qu’on pourrait le considérer comme un plaidoyer assez droitier contre le syndicalisme, le récit questionne plutôt ce qui fait d’eux des irréductibles : cette incapacité à renoncer sur le seul domaine qu’ils semblent maitriser ; les fêlures, les silences et les gouffres se comblent par la hache, la grue et la chute des grumes dans la rivière. Le patriarche n’affirme pas autre chose, notamment à la jeune épouse qui questionne un temps la vie qui est la leur : Pourquoi continuer à travailler ?
-To keep going, that’s why. To work and sleep and screw and eat and drink and keep on going.
- And that’s all ?
- Honeysweet, that’s all there is.
L’effroi discret occasionné par une telle profession de foi provoque chez le spectateur un mélange contrasté de désarroi et de compassion. Il n’est donc pas nécessaire d’adhérer aux idées du clan pour partager leur bravade finale : cette traversée sur la rivière, faisant du bras arraché du père un totem en doigt d’honneur à la collectivité n’est pas forcément un modèle moral, mais c’est un baroud d’honneur qui forge une famille. Face à l’adversité, à la pénibilité d’un quotidien qui ne mène pas bien loin, ce trajet final sur l’eau n’est pas un happy end : c’est, simplement, le courage que se donnent des hommes à persévérer dans l’avancée, sous peine de couler.