Le stade ultime de la civilisation, c'est la loi. Quand il n'y a pas la loi, il y a la vengeance, il y a l’humiliation. C'est ce que raconte Asghar Farhadi dans son dernier film, et c'est ce qu'il raconte dans tous ses films. Ici, on part du théâtre ; une scène, et un incroyable décor américain. Motel, Bowling, néons Las Vegas. On se pince, mais non, on est bien dans un film iranien. Ou plutôt au théâtre, ce royaume des apparences. On est bien en Iran, et la prostituée sans voile en a évidemment un, caché sous son chapeau rouge de fille légère. Et on répète Mort d'un Commis Voyageur.
Les deux acteurs principaux sont vraiment un couple ; d'ailleurs, ils déménagent dans un nouvel appartement, généreusement fourni par un autre acteur. Mais cet appartement a une histoire, et une locataire qui ne voulait pas partir. Les embrouilles commencent.
Comme d'habitude chez Farhadi, ça pourrait se passer à Paris, à Marseille, ou à New York. Comme d'habitude chez Farhadi, la petite secousse devient un tremblement de terre. Comme d'habitude chez Farhadi, c'est le chacun enfermé au cœur de nous-mêmes, la citadelle imprenable de nos valeurs, qui nous emprisonne et nous isole des autres… Qu’on les aime ou pas ne fait rien à l’affaire.
Ce Client n'est certes pas le meilleur film de Farhadi, il a ses longueurs et ses maladresses. Mais si tous les films étaient de cette qualité-là, nous passerions notre vie au cinéma.
Car Farhadi semble un des derniers réalisateurs à savoir raconter une histoire de façon classique, à créer des personnage et à les faire évoluer en deux heures. Le reste du cinéma mondial semble avoir renoncé à cette ambition, et l’avoir abandonné aux séries, à qui on laisse dix heures pour faire la même chose.
Ici, rien n'est simple pour les personnages, et pourtant, tout est compréhensible pour le spectateur. Le professeur, héros de cette histoire, est un prototype de réformateur iranien. Il hausse les sourcils quand on lui parle d’humilier quelqu'un ; quelques dizaines de minutes plus tard, Farhadi en aura fait un vengeur implacable. Sa femme se sera murée dans ses contradictions. Et l’ami qui leur a trouvé l’appartement ne sera pas récompensé, mais au contraire jugé sévèrement.
Dans cet Iran que l'on décrit ici de façon caricaturale sans jamais y aller, l'auteur de Une Séparation est capable de parler ouvertement de la censure, de montrer des femmes divorcées, de parler de prostitution, et de corruption. Comme cela nous avait été brillamment expliqué lors d’une projection particulière d'Une Séparation*, Farhadi, à l’instar des iraniens, n'est pas un opposant de la révolution iranienne ; il pense au contraire que la révolution n'est pas allée assez loin dans la réduction des inégalités. Ce qui explique sûrement l'incroyable succès de ce Client en Iran.
* Merci à France Mutuelle et à l’ami Philippe d’Avalon…
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