Curieusement, moi qui suis très attaché au cinéma iranien - depuis des décennies l'un des meilleurs du monde, ce qui aurait tendance à faire penser que le génie artistique est encore plus vivace quand il s'oppose à la tyrannie -, j'avais complètement loupé le Client à sa sortie. Et puis je m'en étais détourné du fait de critiques négatives de la part de personnes dont je respecte l'opinion au plus haut point. Le Bluray Disc dormait donc sur mon étagère depuis un bon moment quand une panne d'Internet m'a convaincu de m'y risquer.
Et je ne l'ai pas regretté. J'y ai retrouvé tout ce que j'aime dans le grand cinéma iranien : une mise en scène d'une folle intelligence qui sait pourtant ne pas tomber dans la virtuosité gratuite, un scénario conceptuel en diable (ici la mise en regard d'une pièce célèbre, la Mort d'un commis voyageur, jouée le soir par le couple dont nous suivons les épreuves durant la journée, et dont les situations font écho, mais heureusement indirectement, à la crise qu'ils vivent), un niveau d'interprétation exceptionnel (Shahab Hosseini a reçu le Prix d'interprétation à Cannes), et un regard redoutablement critique sur la société iranienne, mais subtil car il ne faut évidemment pas attirer l'attention des mollahs / censeurs.
Alors, oui, j'ai aussi compris ce qui a gêné les détracteurs du film : le Client fonctionne comme un thriller, avec une construction élaborée de coïncidences et de mauvaises décisions qui placent le couple de héros dans une situation impossible, et finalement destructrice. On les voit s'enfermer eux-mêmes dans un piège que le "scénario" leur tend, tandis que les symboles sont alignés pour souligner les thèmes profonds du film : entre l'immeuble qui se fissure et menace de s'effondrer et l'ascenseur en panne qui oblige à de longues montées et descentes d'étages par l'escalier alors que le temps presse, Farhadi opère comme une divinité toute-puissante contrôlant le destin de ses personnages, sans leur laisser aucune chance. Ce sont là pourtant les mécanismes classiques des grands thrillers, et plus généralement des "Films Noirs", qui n'offensent personne, et qui sont, au contraire, célébrés.
Finalement, ce qui surprend (favorablement pour ceux qui aiment le film, négativement pour ceux qui le critiquent), c'est le décalage entre ce genre de mécanique scénaristique et l'aspect extrêmement réaliste, parfois proche du documentaire (je pense aux scènes de travail, à l'école ou au théâtre), du film. Le client, c'est l'accouplement de la carpe et du lapin : ça donne un résultat bizarre, décalé, qui rompt avec nos croyances en un cinéma "pur". Et moi, je trouve ça très bien comme ça.
[Critique écrite en 2025]