Gaspar (Lazlo Galffi), fils du roi de Hongrie, revient après des études en Italie, accompagné d'un ami fidèle, Filippo (Ninetto Davoli) et d'une troupe d'acteurs de la comeddia dell'Arte. Il se retrouve l'objet d'intrigues, de faux semblants qui semblent faire douter de la notion de réalité. Son père est mort, face aux Turcs d'après la version officielle, d'un accident de chasse avec un ours, dans la version officieuse. Depuis, sa mère, dame Katalyn (Teresa Ann Savoy) est victime de catatonie, elle ne bouge pas plus qu'un mannequin que l'on manipule au gré des rituels de cours. Il en souffre. Il apprend que l'on tuerait des jeunes filles pour qu'elle reste jeune. Mais il en recroise une qu'il croyait morte, à moins qu'il ne s'agisse de sa jumelle. Filippo, trublion italien,, craint pour sa vie dans cette cour où Karoly (Joszef Madaras, qui jouait Egisthe dans Pour Electre), l'oncle de Gaspar, et l'archevêque se disputent le pouvoir.


Plusieurs attentats ont lieu, mais ce sont des mises en scène. Un garde frappe Gaspar qui est tenté de fuir la cour, Karolyi le pousse à décapiter l'auteur de ce crime de lèse-majesté mais c'est un coup monté pour salir les mains du jeune prince, qui accorde sa clémence. Karolyi, avec l'appui de l'Eglise, propose de guérir dame Katalyn par un moyen souverain : qu'elle épouse un proche parent, à savoir lui. Dont acte, et en effet, elle semble retrouver la parole. Gaspar tente ensuite de manipuler Karolyi par une mise en scène impliquant un faux assassinat. Se pose aussi la question de la position de son autre oncle qui s'est mis au service des Turcs. Au final, il semble que tout n'était que faux semblant, tous les acteurs n'étaient que des comédiens, et tout le monde sort du palais, dans lequel les personnages étaient comme enfermés. Ils courent dans la steppe, et un fusil les abat un par un, implacablement, tandis que des chevaux courent, au loin, dans la steppe.


Un film déroutant à plusieurs titres. La première réflexion qui m'est venue à l'esprit était que Jancso voulait prendre le contrepied de ce qui fait son style habituel : pas de grands espaces, pas de chevaux (sauf dans le plan final), pas de parades chorégraphiées, mais un espace claustrophobique dans lequel les protagonistes ne cessent de se cogner les uns dans les autres. La narration est par ailleurs très heurtée et elliptique : les plans-séquences suivent les acteurs à travers le palais mais la continuité du plan n'est pas synonyme de continuité chronologique. En gros, dans le même plan-séquence sont fondus des événements qui ne peuvent se suivre immédiatement dans la réalité : cause et conséquence se suivent, et le dispositif de caméra repose sur le fait de faire coulisser les acteurs comme dans une sorte de ballet. Par exemple des acteurs parlent en arrière-plan, tandis que des rangées de bougies défilent au premier plan comme sur un tapis roulant. Ou Ninetto Davoli, entouré d'autres personnages, dit ses répliques tout en pivotant sur lui-même. Tout rappelle le théâtre, ses trappes, ses astuces, et le spectateur a en définitive l'impression d'un mouvement perpétuel.


Au niveau formel, donc, c'est intéressant, d'autant que les couleurs, les lumières s'inspirent énormément de tableaux de la Renaissance, du visage de Gaspar qui rappelle certains tableaux de courtisans aux références à Saint Sébastien, ou aux alternances d'ombre et de lumière qui évoquent le Carravage. Et on appréciera de retrouver Ninetto Davoli, l'acteur-fétiche de Pasolini, adaptateur du Décaméron de Boccace.


Au niveau du discours, c'est plus confus et déroutant. On comprend qu'il s'agit de dresser un portraît de la Hongrie arriérée, dans laquelle la Renaissance italienne et l'humanisme n'ont pas leur place, mais l'épilogue m'a donné l'impression que Jancso prenait ses distances avec son propre exercice de style.


Un film sublime au niveau visuel, plus confus dans son contenu.


Vu salle Georges Franju à la Cinémathèque.

zardoz6704
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le 10 nov. 2015

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