Il y a de ces séances de salles obscures dont on ne sort pas tout à fait indemne. Qu'il soit contemplatif, horrifié, méfiant, ignare, joyeux, vide ou encore époustouflé, le sentiment ressenti vous tiens un temps, une minute, une heure, un jour, une semaine. Et il est compliqué, c'est vrai, de rédiger une critique dans l'objectivité la plus absolue quand le sujet mis sur la table, ou plutôt projeté à l'écran, bouleverse au plus profond les fondements de son éthique morale.
Le consentement est la réadaptation d'une histoire réelle, une histoire pédérastique vécue non seulement par Vanessa Springora, mais aussi par d'innombrables victimes qui la vivent et la vivront "pour l'éternité".
Le titre du film est une remise en question directe sur la définition littérale du verbe consentir. Pour les victimes : qu'est-ce que veut dire "oui" quand cette réponse découle d'une longue et intense pression psychologique ? Pour les criminels : qu'est-ce que l'utilité de demander la permission quand on peut arriver à ses fins par l'usure ?
L'histoire est frappante, les performances remarquables avec un Jean Paul-Rouve d'une impassibilité déconcertante. Et si la ou Vanessa Filho a réussi, c'est en prenant l'auteur à son propre jeu (à l'instar de Vanessa Springora) en immortalisant ses actes dans une œuvre visible et physique qui indélébilise ses atrocités sur Terre tout en représentant le son de millions de voix mises en sourdines.
La réussite du film est aussi cette représentation du pouvoir, de l'influence hiérarchique qu'il est aisé d'avoir à l'encontre d'un tiers tout à fait nouveau et innocent du monde qui l'entoure, en recherche de n'importe quel savoir qui pourrait le construire et lui dicter la raison de sa nature. On rencontrait d'ailleurs cette même approche des décennies auparavant avec le dérangeant *Salo ou les 120 journées de Sodome *qui nous questionne sur l'ampleur du pouvoir que peut posséder une poignée d'hommes sur des jeunes adultes, un peu plus tard dans le film Canine ou l'on constate l'irréversible impact d'une éducation dépravée et éloignée du monde extérieur et enfin récemment dans le court métrage *14 millions de cris *de Liza Azuelos qui aborde les viciosités du mariage forcé, dans un milieu ou tout le monde semble en accord avec l'union d'un vieux lard et d'une gamine de 14 ans.
L'omniprésence du personnage de Matzneff est indiscutable. Il est présent sur les premières pages couverture, les quatrièmes de couverture, devant l'école, au restaurant, constamment avec Vanessa, dans les fabulations juvéniles de cette dernière, à la télé, dans les discussions et même dans la narration du film.
Mais c'est en ce point que je ne comprend plus très bien où veut nous mener la réalisatrice. La source essentielle du calvaire de Vanessa est cet harcèlement psychologique de son mentor qui l'empêche de penser, qui l'empêche de grandir, elle qui vit encore à travers les œuvres de Léon Tolstoï et de Lewis Carroll. La source du manque crucial de justice autour de l'affaire est cette présence inconditionnelle de Matzneff dans la vie sociétale, celui qu'on invite sur les plateaux télés et qui est soutenu par les Académies.
Dans le film Rouve est impérieux, trop impérieux. Sa carrure, sa diction, ses paroles, ses déplacements, ses relations,... Tout est décrit du personnage, tout est décrit du criminel. Mais qu'apprenons-nous vraiment de la victime ? Quelles furent ses émotions lors de sa première rencontre avec Matzneff, quelles furent ses pensées quand resurgirent du passé, par la réception du mail d'un éditeur, tout ces traumatismes qui lui semblait pourtant dissous ? Ce ne sont pas des pleures et quelques lignes qui suffisent à décrire un tel état psychologique. En ce point je rejoint tout à fait la critique de Plume sur le fait qu'on voit la victime, mais qu'on ne l'entend pas.
Après la rupture, le traumatisme continuera, elle sera confrontée à des hommes un peu moins âgés mais toujours autant fantasmés par sa maturité et surtout sa jeunesse. On remarquera d'ailleurs que l'unique film cité dans le métrage par le personnage de Youri est Taxi Driver, film mythique qui a fait rêver plus d'un spectateur mais ayant la particularité de traité de façon très violente la pédocriminalité.
Vanessa ne remettra jamais vraiment de cette aventure qu'elle pensait être de l'amour, mais n'étant en réalité qu'une idolâtrie excessive dissimulée, un aspect peu détectable quand l'expérience de la vie ne se résume encore qu'aux cartables et, pour ce cas-ci, à la lecture.
Un film probablement mal-jaugé et précipité mais qui reflète d'un sujet trop craint et tut en France, et de ce fait Vanessa Filho entre dans la tourmente de réalisateurs jugés "à risque" par la presse, ou l'on retrouve entre autre injustement un certains Jean-Pierre Mocky.