l'épopée viscérale et nihiliste de William Friedkin


Le sort est jeté destination la mort


Lorsque Sorcerer de William Friedkin est sorti en 1977, il a été carrément rejeté par le public et les critiques ( des aveugles sans doute ). C'était un film très cher, ambitieux, dont l'échec a presque détruit la carrière de Friedkin.


Ce film contient quand-même la scène la plus épique du cinéma où deux camions remplis de nitroglycérine instable doivent négocier un pont de corde lors d'une violente tempête. La scène a été complètement tournée pour de vrai; on voit clairement le camion, le pont, les chauffeurs terrifiés, ce que vous voyez est exactement ce qui a été tourné sur place. Les quatre acteurs principaux ont fait la plupart de leurs propres cascades. Cette séquence tendue de douze minutes a pris trois mois à tourner et a coûté 3 millions de dollars. Cette scène de pont est le point culminant du film et elle a reçu un traitement «star» en la mettant en évidence sur l'affiche du film.


Mais plus important encore, la scène est un exemple de l'ambition folle de Friedkin et de sa volonté de tout mettre en œuvre pour réaliser ce qu'il veut en tant que cinéaste sans se soucier du coût monétaire ou humain que cela implique. C’est aussi un témoignage de son ambition artistique jusqu'au-boutiste en tant que cinéaste.


Nous avons déjà vu des scènes d'action tendues et passionnantes, mais ici, Friedkin maximise le suspense, en l'étendant à un niveau biblique ( d'ailleurs un des deux camions s'appelle Lazare) en se concentrant sur chaque détail. Chaque élément de la scène : l'élément humain, l'élément mécanique et les éléments naturels est utilisé pour amplifier le suspense.


Comme son homologue Francis Ford Coppola à l'époque, il était pratiquement le roi d'Hollywood qui pouvait faire tout ce qu'il voulait comme prochain film. Et comme Coppola a choisi d'aller dans la jungle pour faire Apocalypse Now, une adaptation de Au cœur des ténèbres de Conrad, Friedkin a choisi de faire Sorcerer, une adaptation du roman de Georges Arnaud de 1950, Le Salaire de la Peur.

Le roman a déjà été brillamment adapté à l'écran en 1953 par le réalisateur français Henri-Georges Clouzot. Friedkin était un grand fan de ce film et il a pensé qu'il pourrait rendre hommage à cette version avec une toute nouvelle version. Remake un classiques est toujours délicat. Il y a toutes les chances que vous soyez critiqué pour ne pas être à la hauteur de l'original. Mais Friedkin le considérait plus comme une relecture que comme un remake du film.


Friedkin avait pris la permission de Clouzot pour refaire le film et il a même dit en plaisantant au réalisateur plus âgé qu'il ne ferait pas un meilleur film que le sien, donc il lui à menti et en lui donnant une dimension métaphysique.

L'intrigue du film est très simple. Il dépeint quatre parias désespérés d'horizons variés se retrouvant dans un village sud-américain, où ils sont chargés de transporter des cargaisons de dynamite vieillissante et mal entretenue à travers deux cents kilomètres de jungle dans des camions composés de différentes parties de carrosserie comme un monstre Frankenstein.


La dynamite est si ancienne que de la nitroglycérine suinte, une légère secousse sur les boîtes les contenant pourrait les faire exploser. Mais c'est une urgence, car l'un des puits de pétrole appartenant à une multinationale ( gulf and western dans l'esprit de Friedkin car le patron de Paramount et de G and W Charles Bluhdorn est le producteur du film, le propriétaire d'une partie de la République dominicaine ou est tourné le film donc un coup de poing de le ventre à celui qui te nourrit sorte de suicide artistique ) à explosé. La société a immédiatement besoin d'un convoi kamikaze pour acheminer les explosifs car il n'y a pas d'autre moyen d'éteindre le feu. Le film s'intéresse principalement au voyage périlleux entrepris par ces 4 chauffeurs. Mais de la manière dont le film est construit, le voyage ne constitue que la dernière heure de ce film de deux heures.


La première demi-heure est entièrement consacrée à la mise en place des personnages et de leurs décors. Nilo (Francisco Rabal), un assassin professionnel en chaussures blanches et en blouson de sport, commet un meurtre à Vera Cruz et s'éclipse. Kassem (Amidou), un terroriste arabe, échappe de peu à l'arrestation après avoir fait exploser une bombe à Jérusalem. Serrano ( Bruno Cremer ), un banquier d'affaires français, fuit le pays et abandonne sa femme après avoir perdu à la fois son entreprise et son beau-frère partenaire commercial par suicide. Enfin, il y a Scanlon (Roy Scheider), un criminel en fuite, qui vole la mauvaise église et fait tuer ses acolytes dans un accident de la circulation. Un compagnon décédé de Scanlon était membre d'une famille mafieuse et ils ont rapidement mis sa tête à prix, forçant Scanlon à fuir.

Dès la scène d'ouverture, le public est simplement plongé au milieu de l'action sans aucune explication. Nous voyons un monde corrompu et violent rempli de meurtres, d'attentats à la bombe, de trahisons, de vols et d'accidents. La première section, principalement tournée dans les villes, possède le ton et l'opulence visuelle d'une grosse production hollywoodienne.


La demi-heure suivante retrouve tous ces personnages dans le village sud-américain de Porvenir. Sombre, pluvieux et humide, le village est une version de l'enfer sur terre. il y a la misère, la privation et la mort tout autour. Friedkin est impitoyable dans son traitement visuel. Cette section se déroule dans Porvenir comme un documentaire austère, tourné presque dans un style cinéma-vérité très proche des meilleurs Werner Herzog dans le traitement la folie et la démesure.

Bien que ce ne soit qu'un peu plus d'une demi-heure, cela ressemble à une éternité. Le rythme et le spectateur se relâchent dans cette section. Non seulement vous vous détendez, mais vous êtes repoussé par la plupart des visuels que Friedkin vous jette au visage. Mais une fois que les quatre gars commencent leur difficile voyage, le film passe à la vitesse supérieure.


La dernière section du film, dépeignant le voyage des protagonistes dans les camions, est un mélange fou d'un film d'action,

d'aventure et d'un film d'art européen, avec un réalisme et un suspense insoutenable mélangé avec du réalisme magique et du surréalisme, Friedkin à demandé à son scénariste Walon Green ( La horde Sauvage) de lire 100 ans de solitude de Gabriel García Márquez pour inclure à son film un encrage profond dans la culture et les croyances sud américaine.


La partition électronique envoûtante de Tangerine Dream élève cet effet fantasmagorique , d'ailleurs cette musique à hanté l'esprit de Friedkin les vingt dernières années de sa vie comme un appel de la mort. Une grande partie des problèmes du film réside dans ce mélange fou de styles et d'esthétiques différents. Ce mariage de sensibilités hollywoodiennes et de sensibilités européennes du cinéma d'art n'a pas été compris a sa sortie.

le film devient une expérience cinématographique d'une ampleur rarement égalé dans la dernière heure. En commençant par les scènes où les protagonistes assemblent leurs véhicules de façon anthropomorphique et les testent, avec la musique planante et obsédante de Tangerine Dreams en arrière-plan, le film change de rythme. A partir de là, il devient une odyssée homérique qui ne lâche pas son élan, jusqu'à ce que l'on voit Roy Scheider, titubant comme un fantôme dans une nature sauvage avec la caisse de dynamite dans les mains.


Et soudain apparaît le réalisme magique, lorsqu'un membre d'une tribu autochtone sort de nulle part et commence à courir devant les camions, narguant les camionneurs à intervalles réguliers et augmentant leur inconfort. Hormis la dantesque séquence du pont, il y a des scènes qui donnent un maximum de suspense en jouant sur la méfiance entre les quatre personnages d'horizons différents qui se sont lancés dans cette mission suicide. Le film est sombre et nihiliste jusqu'au bout.

Friedkin n'offre aucun espoir, puisqu'il tue les protagonistes les uns après les autres. Nous voyons un lien étroit se développer entre les chauffeurs Kassam et Serrano, mais immédiatement nous voyons leurs camions se renverser et la dynamite exploser les tuant tous les deux. Nous obtenons une scène rendant hommage au trésor de la Sierra Madre de John Huston, où Scanlon et Nilo sont confrontés à une bande de bandits et Nilo meurt en combattant avec eux.

Friedkin utilise les images d'une nature sauvage onirique avec le visage fantomatique de Scanlon pour exprimer son état mental instable. À la fin du film, seul Scanlon survit, ou pas ? La dernière scène montre des tueurs à gages commandés par la mafia arrivant pour tuer Scanlon.


Le titre vient de l'idée de Friedkin selon laquelle Sorcerer est un sorcier maléfique. Et dans ce cas, le sorcier maléfique est le destin, il prend le contrôle de toutes nos vies. Friedkin ne savait pas que c'est exactement ce que le film lui ferait aussi. Le film l'a consumé et l'a quasi détruit. Sorcerer est aussi l'album préféré de Friedkin un album signé Miles Davis.

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le 30 sept. 2023

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