L'enfer vert.
Dédié au cinéaste Henri-Georges Clouzot, "Sorcerer" est en effet un remake de son film "Le salaire de la peur", ou plutôt une seconde adaptation du roman de Georges Arnaud. Souhaitant au départ...
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le 18 janv. 2015
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À plat sur la toile, Roy promène son regard halluciné comme s'il voulait capturer les éclairs d'électricité qui dansent autour de lui.
Je sentais que la fin du film approchait et j'aurais bien pu mourir après ça, avec ce sentiment que le délicieux goût des choses ne serait plus tout à fait le même, que ce qu'il me restait à vivre ne valait pas ce moment.
Bon, j'en rajoute un peu, mais voilà quoi, c'était chouette.
Sur l'écran de la salle de cinéma, Roy donnait son corps, chevillé au volant de son camion. Il touchait au but et c'est à cet instant que l'autre fit son entrée. Il arrivait par derrière, en loucedé , escorté par personne d'autre que cette bedaine qui le devançait toujours un peu quand il arrivait quelque part. Je savais qu'il serait là, c'était annoncé, mais le voir, là, à quelques mètres derrière moi, partageant le même oxygène, son pantalon que je devinais beige ou jaune pisseux, soutenu par une ceinture marron scellée sous sa poitrine, à la Jacques Chirac, et qui faisait un bourrelet discret sur sa chemise.
C'était comme croire au Père Noël à nouveau.
Il avait le cheveu plus rare que dans sa jeunesse. Il était moins svelte, les bajoues un peu tombantes, mais c'était bien Friedkin qui se dessinait dans la pénombre derrière moi. Il regardait, droit devant lui, les images qui défilaient et dont il était le père.
Je me suis dit qu'avoir un ventre aussi bien dessiné, ça devait être vachement pratique quand t'avais à poser quelque chose comme, je ne sais pas, une chopine ou un collage précieux un soir où tu sens poindre la pénurie de feuilles OCB.
Hormis le déluge de Tangerine Dream, t'aurais pas entendu une respiration. La salle était pleine, c'était une avant-première d'un film sorti il y a 30 ans, que son auteur pensait perdu dans la forme qu'il avait fantasmée, découpé par des producteurs avides de récupérer quelques billes, même sur un cadavre.
Et c'était SC qui régalait.
Je me demandais à quoi il pouvait penser, en voyant ce passé lui rejaillir à la gueule, soir après soir, à la faveur de ces avant-premières en cascade, pour la ressortie de son chef d’œuvre sur tous les écrans du monde.
Pensait-il à qui il était à l'époque ? À sa jeunesse envolée ? À ce chevalier plein de fougue du Nouvel Hollywood qu'il avait assommé à coup de French Connection, avant de remettre le couvert avec L'Exorciste, les dents plus longues qu'un jour sans joint, un ego et surtout une arrogance qui allaient sans nul doute le mener à la marge.
Pense-t-il qu'il a laissé un peu de lui dans cette jungle, comme Coppola avant lui ?
Imagine-t-il Steve McQueen au volant du Sorcerer ? Aux gros plans qu'il aurait pu faire sur ses yeux ?
Revoit-il les jours innombrables de ce tournage de folie où son hélico le déposait chaque matin, comme le Christ attendu par des agneaux craintifs et silencieux.
Pense-t-il à ces colères dévastatrices qui faisaient de lui un homme craint mais isolé dans sa mégalomanie ?
Cerne-t-il l'instant où tout aurait pu lui échapper ?
Se dit-il qu'avant, il avait des cheveux mais rien pour poser sa bière ?
J'en sais rien, je ne lis pas dans les pensées mais, après le film, le mec a jacté pendant presque deux heures. Il a parlé de Scheider qui s'est donné corps et âme, et avec qui il s'est brouillé.
Il n'a pas parlé de Jeanne Moreau, sans doute parce-qu'il doit la trouver vieille, aujourd'hui, lui aussi. Il nous a dit qu'il nous aimait. Ça m'a fichu un choc.
Après il s'est foutu de la gueule d'un mec qui avait une casquette dans le public et il a taillé Benicio DelToro alors qu'il n'était pas là.
C'était moyen de sa part car si le taureau avait été là, il aurait taillé Tommy Lee Jones. Il a commencé à dire que le mec demandait pourquoi le personnage qu'il interprétait utilisait la porte pour entrer dans la pièce alors qu'il y a tout plein de fenêtres, et que dans une scène il voulait rajouter des dialogues alors qu'il était mort. Bref, il l'a carrément fait passer pour un con.
Moi qui croyais qu'avec le temps la viande devenait plus tendre, je m'étais fichu le doigt dans l’œil jusqu'aux couilles.
Surtout que se finissait sa parabole sur le "vivre ensemble", sur ces hommes que le destin a pourris jusqu'à la moëlle, ces spectres d'hommes qui devaient s'allier s'ils voulaient pas exploser et qui finissaient en bordure des extrêmes extrêmes, plus loin que loin. Et nous, le souffle court.
Du coup, j'ai décidé de continuer à vivre parce que l'homme m'avait fortement déçu à vomir gratuitement sur un pauvre Portoricain qui voulait juste faire son travail convenablement.
Ordure !
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le 25 févr. 2016
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