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Réussir un remake du Salaire de la Peur était loin d’être chose aisée. Et pourtant, William Friedkin a réussi son pari haut la main en proposant une relecture qui s’avère finalement très complémentaire du Clouzot. Résultat, nous nous retrouvons avec deux grands films autour de la même trame. Si ce n’est pas merveilleux ! Un changement majeur a été opéré au niveau du scénario puisque le film dispose d’une première partie d’une vingtaine de minutes environ qui va introduire chaque personnage un à un. J’émettais un petit bémol au début sachant que le fait de ne rien savoir du passé des personnages fonctionnait très bien dans le Clouzot. Mes craintes se sont toutefois vite dissipées étant donné que la part d’invisible est tout de même présente bien qu’elle s’exprime d’une façon différente. Car on sait ce qui attend les personnages, on sait ce qu’ils ont laissé, ce qui confère au film une dimension vraiment angoissante je trouve.


Sorcerer brille aussi grâce à sa représentation de l’enfer dans lequel vivent ses personnages. Il y a notamment cette sensation de crasse omniprésente qui dégage une atmosphère moite et oppressante. C’est ce qui manquait d’ailleurs au Clouzot pour que j’en sois pleinement satisfait, il était peut-être trop « propre ». Et cet aspect sale contribue à ce que l’on ressente aussi ce côté enfer terrestre d’où il est impossible ou presque de s’extirper. Sur le plan formel, Sorcerer dégage vraiment quelque chose de dérangeant, d’unique. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la mise en scène de Friedkin tabasse sévèrement. Alors globalement je dirais que le petit défaut du film est que le trajet périlleux est assez court finalement. Dans le Salaire de la Peur, celui-ci était plus long et cette longueur accentuait la tension. Chaque virage était une épreuve et, comme les personnages, je suais à grosses gouttes. Ici on ressent la même chose mais moins sur la longueur, ce qui est un peu dommage. Je n’aurais franchement pas craché sur une demi-heure supplémentaire.


Par contre les seules séquences sur le pont valent clairement leur pesant de cacahuètes. Friedkin y exprime clairement son génie, j’ai tremblé comme rarement ! Voir ce camion massif devenir encore plus vulnérable sur ce pont qui menace de s’effondrer à tout moment, c’était quand même intense. Et le montage est vraiment excellent, les successions de plans sur le camion, les cordes du pont et les protagonistes sont d’une efficacité remarquable. Le bruit de ces planches qui craquent et de ces cordes qui s’étirent me restent gravés en tête. Tout comme ces plans mythiques. Et ce ne sont pas les seules séquences où j’ai vibré, le passage du tronc d’arbre est également traité avec une grande application qui rend la scène particulièrement tendue. Encore une fois, si la durée de l’escapade est clairement en faveur du Clouzot, Friedkin compense aisément cet aspect-là grâce à sa réalisation inspirée et la représentation parfaite de cette jungle hostile.


Et comme chez Clouzot (désolé de toujours citer ce film mais comme il est difficile de ne pas faire de comparaisons pour le coup), l’écriture et l’interprétation des personnages sont à louer. Roy Scheider succède à Yves Montand dans le rôle principal. On remplace un acteur génial par une gueule inoubliable, on ne perd pas trop au change du coup. Et il offre une prestation remarquable, tout comme ses collègues. Le traitement des protagonistes change toutefois un peu. Ici la méfiance est profondément ancrée, chacun craint l’autre tout en espérant le voir échouer pour toucher un plus gros pactole. Mais leurs liens évoluent progressivement, à mesure que les difficultés s’accumulent. Et il y a une grande part de fatalité finalement dans le traitement de ces relations humaines.


La scène de l’explosion du camion en hors-champ dans le Clouzot m’avait marqué par son intelligence. Ici on voit la scène, on voit les deux personnages qui se livrent enfin, qui entament une véritable communication. Avant de foncer vers une mort cruelle, au moment où surgissait enfin un zeste d’amitié dans leur relation


. En ça, l’écriture est assez remarquable et offre une lecture différente du film de base sans que ces rajouts soient superflus. Comme je l’ai dit au début de cet avis, il y a finalement une belle complémentarité entre les deux films ce qui fait du Friedkin un remake de qualité.


Sorcerer offre donc un sacré morceau de cinéma d’une efficacité redoutable et bénéficie d’une mise en scène particulièrement soignée. L’histoire dans ses grandes lignes varie finalement assez peu du Clouzot mais nous offre une relecture intéressante et tout aussi passionnante. Certaines scènes m’ont véritablement terrassé, j’étais cramponné à mon fauteuil et je n’ai pas décroché une seule minute grâce à un rythme parfaitement maîtrisé. Et la cruauté d’ensemble rend le film vraiment poignant à mon sens, je développais une réelle empathie pour les personnages avec ce perpétuel espoir de les voir s’en sortir malgré leurs défauts inhérents à la nature humaine. C’est ce qui fait leur force d’ailleurs, on y croit. William Friedkin a donc réalisé un remake indispensable et taille patron. Un très grand film, à l’image de son aîné.

Moorhuhn
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le 11 août 2015

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Moorhuhn

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