La longue introduction silencieuse nous donne à voir la ville, ses rues désertes et les grilles de fer forgé qui s’ouvrent en grinçant au passage de la caméra ; son mouvement ample donne au spectateur une omniscience jouissive et annonce avec méthode le programme du récit à venir : l’intrusion dans l’intimité, le vernis de la surface qu’on va écailler pour faire gentiment éclater toute la concorde sociale.
Clouzot, maitre absolu de son regard, sait exactement où donner à voir : l’alternance entre les lieux publics (l’église, le lavoir…) et les alcôves (en consultation médicale ou dans les salons des notables) offre un panorama des ravages de la vérité et du mensonge sur les habitants. Progressivement, le discours secret prend le pas sur l’officiel, à l’image de cette belle séquence d’enterrement où une nouvelle lettre pleine de fiel décape les circonvolutions habituelles et les éléments de langage de l’élu. La foule elle-même, qu’elle soit dans la cour de récréation ou sur les parvis, devient un personnage à part entière, à la fois victime collective et contenant du graphomane anonyme. Par les ombres, les escaliers, les silhouettes hors champs, la paranoïa s’installe et les visages se ferment sans que puisse pour autant cesser la vie interlope des pécheurs… Car dans ce jeu de massacre, les arrangements sont encore possibles : un tel acceptera de taire les horreurs sur l’autre, pourvu qu’il passe sous silence les siennes…
L’une des grandes forces est aussi de croquer ce monde délétère avec un sens de la satire qui alterne les scènes pathétiques et comiques : comme toujours chez Clouzot, on retrouve ce sens de la réplique cinglante, ces saillies souvent dites sur un ton décalé, où l’on se pique, pour se mettre au niveau du corbeau, de parler avec sérénité des horreurs qu’il dévoile, allant jusqu’à les dicter patiemment à la communauté dans une expérience graphologique des plus cocasses.
Fresney, comme à son habitude, est brillant, séduisant en diable dans ses réparties, et touchant lorsqu’il passe aux aveux. Car de ce jeu malsain, personne ne sort indemne. On sera indulgent envers la fin et ses révélations en cascade un tantinet excessive ; car ce qui reste véritablement, c’est cette dernière image, retour dans les rues du début, où s’éloigne la vengeresse qui soigne le mal par le mal, échec du corbeau, mais victoire contre la moralité sociale… Et à bien la regarder, cette silhouette tout de noir vêtu ressemble furieusement à un corbeau.

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Sergent_Pepper
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