« Il n y’a rien que je veuille plus en ce monde, même pas moi »
Ma première rencontre avec cette œuvre, je devais avoir 12/13 ans. J’en avais gardé un souvenir singulier ; non en fait trois. Des batailles aériennes dantesques avec de vieux coucous, un sein d’Ursula Andress et une séquence finale qui m’avait choqué.
C’est donc avec excitation que j’ai redécouvert ce film, excitation teintée de crainte, celle qui nous accompagne lorsque nous redécouvrons, déçus, une œuvre qui nous avait fait chavirer plus jeune. Et bien là, c’est tout le contraire qui vient de se passer. Ce film est tout simplement formidable. Le picth est assez classique : un homme de naissance modeste, très ambitieux, tente de se faire une place au sein d’une aristocratie en plein crépuscule. Cette dernière est double ; c’est d’abord la rigide caste des officiers prussiens, bourrés de principes et de morgue envers les plus pauvres, les « non-élus ». C’est aussi cette caste tout aussi singulière, celle du monde des pilotes, chevaliers des temps modernes, tentant pour certain de perpétuer le mythe d’un esprit chevaleresque là où il s’agit avant tout de faire la guerre et de tuer.
Derrière cette histoire mainte fois narrée, se cachent en réalité moults intérêts (faut bien faire chevalier non ?). Primo nous sommes chez les perdants : un film sur les Allemands, c’est pas mal. Deuxième intérêt, il ne s’agit pas des méchants nazis, mais des Teutons de 14-18. Troisième intérêt donc la reconstitution d’une période peu traitée par le cinoche, comparativement à 39-45, le tout avec une rigueur toute prussienne. Ce qui concourt au quatrième intérêt ce sont les efforts faits pour traiter de ces premiers âges de l’aviation : des vieux coucous qui volent !! Des camions de 1916 ! Des canons y tout ! Un vrai travail, remarquable mise en valeur de ces antiques machines. Il y a bien quelques coquilles comme ces mitrailleuses qui en réalité étaient actionnées par le manche ou quelques cocardes mais là on s'en fout. Un cinquième intérêt ? La propagande et la création d’un héros pour soutenir le moral de l’arrière. Des blessés, du sang, une Allemagne à l’agonie en cette année 1918 qui clôture le film. Un interlude musical, et oui, au beau milieu du film : 6-7 minutes de sic, sur fond d’une croix du mérite, ce n’est pas banal ça !
Ce film est une perle, trop méconnue à mon goût. John Guillermin nous offre un étalage de maîtrise technique bluffant. Les regards entre Ursula Andress et George Pepard sous forme de zoom alternés, à chaque fois, c’est tout simplement génial. La séquence initiale, avec cet héros qui rampe dans la boue des tranchées et qui rêve de s’envoler dans un de ses coucous qui le survole, allégorie superbe de cet homme qui rêve de reconnaissance. Que dire de la musique de Jerry Goldsmith si ce n’est qu’elle est parfaite pour ce film ? Quelque part, il y a un peu du Lawrence d’Arabie sorti 4 ans plus tôt dans ce film. Les silences qui accompagnent certaines scènes, comme ce réveil sur une base perdue dans un champ de France, avec ces oiseaux qui chantent tandis que la caméra se focalise sur les avions qui attendent d’aller se faire trucider, c’est beau.
La clé de cette pure réussite revient aussi aux acteurs. Les seconds rôles sont parfaits : James Mason campe une excellent officier supérieur plein de cynisme, prêt à tout pour sauver sa caste, y compris à offrir sa femme. Cette dernière, Ursula Andress est belle, vénéneuse et aristocratiquement fatale. Jeremy Kemp campe un génial concurrent pour la gloire, plein de morgue envers ce parvenu qui ose vouloir titille un monde qui l’accepte, faute de mieux. Quant à Karl Michael Vogler, en commandant d’une escadrille en déliquescence, il est touchant et totalement anachronique. Un mec perdu dans un monde qui va trop vite pour lui. Et puis il y a Georges Peppard, qui deviendra plus tard Hannibal Smith. Il est terrible de constater que cet acteur formidable soit plus connu par une série. Ici, n’ayons pas peur des mots, il est éblouissant. Il est beau, impitoyable et touchant, ambitieux et fragile, arriviste et manipulé.
Pour ceux qui pensent que Top Gun est un film sur les pilotes, regardez celui-ci. Pour ceux qui pensent que le Jour le plus Long est un film sur la Guerre, regardez celui-ci. Il est bien plus que ça. Il est rare, beau et cruel.