-Un Drame d'Antonioni. Ca faisait très longtemps que je l'avais vu, la première fois, je suis surpris de voir à quel point c'est bien meilleur que dans mon souvenir. Ce n'est pas le plus beau film de l'auteur, mais dis-donc, il y'a déjà là toute la supériorité infinie d'Antonioni, d'abord disons que le contraire de ce film c'est le Accatone de Pasolini, qui est la misère crasse disons, tandis que ce Le Cri est la dignité malgré la misère. Il y'a déjà dans ce film toutes les obsessions métaphysiques d'Antonioni, son refus du compromis artistique, son jeu de contrastes qui donne au film un côté vivant insoupçonné, avec des trouvailles charmantes et très simples qui évitent au film d'être plat ou rigide (la petite fille qui joue, un vieux marin qui raconte comment il a vu une iguane au Venezuela, un type qui fait un bras d'honneur au lieu de payer l'essence, des sourires qui sortent de nulle part, des sourires dans la misère, mais des sourires candides, vrais, et même les pleurs ne sont jamais malaisants !!!...), le sens du cadre avec toujours le souci de placer des plans larges pour éviter au spectateur de suffoquer, car Antonioni sait qu'un drame réaliste est quelque chose de difficile à regarder, d'artificiel, et quelque part d'hypocrite quoi, donc il met de la distance dans son film, le plus de distance possible afin de ne pas nous angoisser ou de nous faire sentir coupables ou mal à l'aise ou des choses qu'on ressent au bout de 3 minutes de n'importe quel film d'auteur, toujours ce souci de la perfection globale de l'oeuvre, ce souci de tact, cette conscience artistique cette conscience qu'avant toute chose l'artiste doit créer de la beauté, malgré la lourdeur de son sujet, "pas un mot plus haut que l'autre" comme on dit, eh bien ce film c'est pas une image plus haute que l'autre, mais un souci de fluidité constant et toujours un pied sur la pédale de frein pour ne pas aller trop loin, mais aussi un pied sur l'accélérateur pour redonner au film une secousse juste au moment propice... La perfection, la perfection c'est tout !
-A la fin il y'a une espèce de manifestation politique ou je ne sais quoi contre l'état qui veut construire une route ou quelque chose comme ça, Antonioni filme ça, mais il le film en second degré, en arrière-plan de la tragédie métaphysique du personnage principal. Encore un jeu de distances... On montre une chose mais on la quitte car il y'a une chose plus importante : Les obsessions personnelles, la perfection artistique, le grandiose imaginaire de l'auteur, grandiose imaginaire de l'auteur qui n'est pas un snobisme mais qui est une personnification et une image du grandiose imaginaire du spectateur et de l'être humain. Toujours, chez Antonioni, ce besoin de sublimer l'être humain, de tendre vers le haut, plus haut, plus haut, plus haut.
-Après ce film, je me demande comment on peut faire des drames réalistes, je me demande pourquoi les Dardenne (et tant d'autres mon dieu, et tant d'autres) font tout leurs films par exemple, alors qu'il y'a dans ce film déjà tout leur cinéma plus un milliard de choses à quoi ils n'arriveront jamais. Il n'y'a qu'Antonioni pour parler de la misère en somme, ce film est en quelque sorte une espèce de ligne rouge morale de la misère à ne pas dépasser. Car, si on la dépasse, on ne peut que tomber dans le cabotinage et dans le vulgaire, le naturalisme et le misérabilisme (le misérabilisme n'est pas la misère, il est son contraire même). Rien de tout ça chez Antonioni, son film est poétique et droit comme un I, fier et digne et grand, bourré de métaphores et de profondeurs humaines, très vite tracées à la caméra, sans jamais s'appesantir trop, avec un charme aie aie aie, le charme du cinéma d'Antonioni bon Dieu, bon Dieu !!!!! Le délice mesdames et messieurs, le délice...
-Pasolini dans Accatone montre un homme qui prostitue une femme. Dans Le Cri, à un moment, le personnage principal découvre que la femme avec qui il vit s'est prostituée, il ne dit pas un mot, et il la quitte tout de suite. On a de la morale ou on n'en a pas écoutez hein.
-Le suicide final est une métaphore, la mort de la ratio des images en ce qui concerne les films artistiques, comme si ce film en finissait avec toute tentative dramatique ou naturaliste du film d'auteur : "C'est bon, Aldo (le personnage dramatique et miséreux) est mort, c'est fini, que le cinéma fasse autre chose". C'est un film qui regarde vers l'avenir, un film cru et optimiste, dirais-je, qui s'insère dans l'histoire et qui, au lieu d'essayer de la bloquer bêtement par tous les moyens factices imaginables, essaie plutôt de fouetter l'histoire des images, et de lui donner un autre souffle, un second souffle.