Annonciateur de son premier succès international L’avventura, de ses thèmes de prédilection (le désamour, la solitude, l’absence, l’abandon, l’errance existentielle, …) et de sa mise en scène singulière (art du cadre, regard méditatif sur l’espace, recherche photographique, rareté des mouvements, plans fixes, longs silences, scènes qui se prolongent entre le « avant » et le « après » événement, spectateur mené à réfléchir sur les acteurs et leurs actions, …), Le cri d’Antonioni est cependant plus qu’un coup d’essai du cinéaste de génie : œuvre déjà complètement maîtrisée, avec une grammaire bien définie, un style propre, une analyse psychologique et surtout philosophique qui sera l’essence intellectuelle de son cinéma, son premier chef d’œuvre, disons-le.
Un homme et une femme, une enfant. La femme s’en va, l’homme doit aussi partir et tout s’effondre, ontologiquement, pour lui : plus d’Autre, plus de Lieu à habiter, plus de Temps pour se rappeler et se projeter, lui-même, son être, a disparu. Tout est à reconstruire. Commence alors la recherche d’un Autre, d’un Lieu, d’un Temps afin de se rebâtir. Or, il se rend compte que cette construction de l’Être n’est autre qu’une prison d’où il faut échapper, si bien qu’il ne s’arrête nulle part, si ce n’est de courte durée, ne pensant au fond qu’à un éternel retour.
Sécurité ou liberté ? Tel est en effet le dilemme philosophique auquel est malgré lui confronté l’homme, pris entre d’un côté la prison de la famille, de la cellule familiale, de la fidélité et de l’autre la liberté individuelle et solitaire. Nombreux d’ailleurs sont les objets qui le symbolisent ici : en premier lieu les récurrentes grilles, les portes, les fenêtres derrière lesquelles se meuvent les êtres; ensuite les longs et infinis chemins, les vastes paysages inhabités et désertiques, les précaires baraques où pénètre le Dehors et où toute existence personnelle est impossible.
C’est donc un personnage errant ontologiquement - plus que dépressif, comme certains regardeurs trop hâtifs et à la lecture superficielle l’affirment, se trompant comme d’autres avec Le Désert Rouge voire avec La Nuit - qui se retrouve confronté malgré lui à sa liberté, solitaire, alors que d’autres, solidaires, agissent en groupe - les mouvements ouvriers, la famille reconstruite. Cherchant lui aussi un Lieu, un Temps et surtout un Autre pour se rebâtir, il ne trouve que des projections de la liberté avec cette femme qu’il ne désire pas et auprès de laquelle il ne pourrait demeurer, ces autres femmes aux mœurs légères habitant des lieux de passages ou ces voyageurs grands nomades. Condamné donc à errer ici-bas.
Or, après cette longue errance dans la boue et la brume, parmi les paysages déserts et spectraux, il sort de cette horizontalité poisseuse où il est englué pour retrouver un peu de verticalité en remontant désespérément dans la tour d’où, à l’image du protagoniste de L’enfer à lui de R. Walsh dans lequel joue aussi Steve Cochran, il tombera, sans pouvoir retrouver celui qu’il fut.