C’est un rideau en velours rouge qui se lève progressivement et dévoile les premières images du film.
Un tableau bleu marine parfaitement symétrique, 2 camions remplis. L’un de charcuterie en décomposition, l’autre de produits de la mer en putréfaction.
Au milieu, la violence.


Le film de Peter Greenaway annonce la couleur dès les premières secondes: ici, il est question de nourriture, de vie, de mort, de sexe, de chairs, et de coups de fourchette. Tout ceci dans le cadre sculptural du Hollandais, un restaurant français détenu par un Voleur.


Mais qui sont-ils ? Le Cuisinier prend les traits de Richard Bohringer : il a l’accent français, c’est un esthète qui a le goût du raffinement.
Il est sous les ordres du Voleur : le plus inhumain des êtres humains. C’est un riche mafieux qui s’entoure toujours de ses sous-fifres (guettez le jeune Tim Roth) et de sa Femme, une Helen Mirren au regard triste qui fume cigarette sur cigarette. Elle s’éprend de l’Amant, un timide libraire et habitué du restaurant.


Peter Greenaway a été peintre avant de réaliser des films et cela se voit. Le parti pris visuel est fort : en effet, chaque séquence est monochromatique. Rouge, blanc, vert, bleu se succèdent mais jamais ne se mélangent.
L’esthétique est tellement poussée que les vêtements des personnages, signés Jean-Paul Gauthier, changent de couleur en passant d’une pièce à l’autre. Au début, on croit à l’illusion d’optique. The devil is in the details, comme ils disent.


Le Hollandais est le théâtre sur lequel les drames, les coups bas et les secrets vont se dérouler.
Il y aura la salle du restaurant rouge vif, qui accueille en son centre la table du Voleur.
Dans les toilettes immaculées, on essaie de fuir l’atmosphère étouffante du repas.
La cuisine vert sapin sert de coulisses : tout le monde s’affaire, certains se cachent, les commis chantent et la magie opère.
Quand on le peut, on sort du restaurant : dehors il fait bleu marine, il y a du bruit et des règlements de compte.


C’est un film théâtral et tragique. La trame est une histoire banale d’adultère, mais la forme sublime et magnifie cette histoire pour en faire un sujet universel. Certains ont trouvé une métaphore à l’Angleterre de Thatcher, ma mère m’a dit que ça restait un film très actuel.
Il y a de l’opéra lyrique à donner des frissons, composé par Michael Nyman. Il accompagne à la perfection l’escalade de la violence, qui petit à petit nous retourne le ventre. Le malaise augmente, mais l’esthétique est impeccable. Impossible de détourner le regard de peur de rater un détail, un corset, une grimace, un plat.


Et surtout, la nourriture.
La narration est réglée en fonction du menu du jour (en français s’il vous plaît), toujours riche et opulent. Les cadavres de volailles s’empilent dans la cuisine et se parent de fruits, de gelées, d’atours végétaux pendant que l’adultère se consomme en catimini, là où le voleur ne voit pas plus loin que le bout de son assiette à soupe.
Il y a une dimension anthropologique : c’est notre manière de définir l’alimentation qui définit le cru, le cuit, le pourri, l’animal, le végétal comme comestible ou non. Les cadavres se transforment sous nos yeux, la pourriture prolifère. On mange l’un, mais pas l’autre.
Tout comme on mange devant les autres : les manières de table sont des codes qui permettent à un convive de montrer sa conformité aux normes sociales. Le Voleur veut à travers la nourriture raffinée de son restaurant montrer son prestige social, quand bien même il rote bruyamment. Il piège ses sbires en leur faisant manger l’immangeable, il humilie sa femme et l’empêche de goûter à son plat. Elle ne trouve la liberté que par ses rencontres avec l’Amant et elle déploie ses ailes au milieu des volailles pas encore déplumées.


C’est une histoire de violence, de nourriture, de sexe, de mort.


Tout est en place dès la première scène. Il ne nous reste plus qu’à découvrir l’intrigue et refermer le rideau en velours rouge deux heures plus tard le cœur retourné, la bouche entrouverte et le souffle coupé.

Leo_Abbas
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le 15 févr. 2021

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Leo_Abbas

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