N'étant pas un spécialiste du cinéma de Quentin Dupieux, que je n'ai découvert que tardivement, il me semble néanmoins que ce passionnant "Daim", malgré les apparences (et le pedigree du bonhomme), n'est ni absurde - les actions des personnages ne cessant jamais d'être parfaitement logiques si l'on suit leur raisonnement -, ni fantastique - le "pouvoir" de la veste sur son porteur étant toujours clairement désigné comme une affabulation de ce dernier. Non, "le Daim" est d'abord la description précise de la chute d'un homme dépressif, à qui la vie échappe (une rupture familiale et la disparition de l'accès à l'argent agiront comme déclencheurs) et qui va, plus ou moins volontairement, plus ou moins sciemment, faire le choix de l'aliénation. Sous cet angle, et même si nombre de scènes restent assez drôles, c'est une impression persistante de douleur, de tragédie intime qui prévaut, en particulier grâce au jeu retenu et superbement sensible de Dujardin, bien meilleur ici que d'habitude.
Mais le plus intéressant ici, c'est - puisque tout film est avant tout le récit de son tournage, comme on le disait naguère - la superbe, et remarquablement honnête - représentation par Dupieux de son propre travail artistique, de sa philosophie du cinéma. Il y a d'une part ces réflexions non dénuées d'ironie sur la "machine du Cinéma" : l'argent quémandé aux producteurs injoignables, qui renvoie au Wenders des années 80, le montage comme outil suprême de révélation de ce que veut vraiment dire le film, et donc le réalisateur, la capture du réel, l'influence du hasard sur la mise en scène de ce qui est un projet quasi promothéen de transformation du monde, etc. Mais il y a surtout ce phénomène magnifique, et clairement auto-destructeur, qui commence par notre fascination pour les images enregistrées et devient une sorte de devoir de transmission, phénomène représenté par le personnage passionnant d'Adèle Haenel : le Cinéma est bien une folie terriblement contagieuse... Alors n'ayons pas peur d'avouer que c'est bien là ce que nous aimons en lui !
"Le Daim" est un très grand film, parce Dupieux a l'honnêteté suprême de se montrer tel qu'il travaille, construisant tout seul ou presque ses films en artisan peu à peu emporté par la déraison de son projet, mais aussi parce qu'il sait aller au-delà de l'autoportrait dépressif, pour nous parler de nous et de notre goût immodéré pour la fiction et sa mise en scène.
[Critique écrire en 2019]