The Shootist est un film qui m’émeut beaucoup. John Wayne y joue son dernier (faux) western. Il campe, J.B. Books, un as de la gâchette atteint d’un cancer, vivant ses derniers jours. Au moment du tournage du film John Wayne était atteint, comme son personnage, d’un cancer qui allait bientôt l’emporter. A cette lumière l’histoire et les dialogues résonnent avec une force toute particulière. La fiction et la réalité se trouvent réunies.
Situé en 1901, The Shootist se déroule après la conquête de l’Ouest : le temps des pionniers, le temps de l’Amérique sauvage est fini. Désormais cette histoire appartient à la légende et l’Amérique est devenue civilisée. Des hommes comme J.B. Books, s’ils font encore rêver les jeunes hommes, ne sont pas forcément vus d’un bon œil par cette Amérique qui s’est installée et qui a édifié son code de moral et de conduite. Dernier grand tireur d’élite, dernier géant, c’est toute une page de l’histoire qui se tourne avec sa mort. Ça c’est pour le film et pour le personnage. Et pour John Wayne ? Pendant des décennies, il a incarné le plus souvent une figure de cowboy, des personnages forts et virils. L’Amérique et lui se sont identifiés l’un à l’autre, il était un véritable symbole, il était à lui seul une légende. Avec sa mort qui se profile, c’est une page que l’Amérique s’apprête à tourner. Et cette étape il l’aborde comme son personnage avec courage et humilité, c’est-à-dire avec vérité. Ainsi quand son personnage dit : « je suis un vieil homme mourant qui a peur du noir. », quelle parole courageuse qui casse la statue du héros invincible et sans faille !
L’émotion est renforcée grâce à la présence de Lauren Bacall et surtout de James Stewart qui campe le rôle du médecin. De grands acteurs qui accompagnent ainsi John Wayne pour la dernière étape de sa carrière. Émotion crée également par la présence de Ron Howard, qui campe un jeune homme béat d’admiration devant son idole. On peut penser que Ron Howard n’a pas eu beaucoup à se forcer pour avoir des étoiles dans les yeux en regardant John Wayne. C’était sûrement le rêve de bien des jeunes américains d’avoir un rôle à ses côtés, même si à cette époque, sa cote de popularité avait baissé auprès des jeunes générations.
Au delà de ce contexte particulier qui confère une grande force à l’histoire. Le sujet est abordé avec justesse. The Shootist nous parle d’un homme considéré par les « gens biens » et par les pieux comme un criminel qui a tué 30 hommes. Un homme qui traîne le poids de sa légende. Ainsi le journaliste qui rêve d’écrire un livre sur lui, pour en gagner un maximum d’argent et qui lui demande : « What turned you to violence in the first place ? Are you by nature bloodthirsty ? (…) » Tandis que son hôte lui reproche à plusieurs reprises son passé sans rien savoir de plus précis sur son histoire. Les personnes qui l’entourent projettent chacune leurs fantasmes, leurs représentations, leurs clichés. Il y a aussi les personnes qui souhaitent profiter de la situation : du journaliste au croque-mort, en passant par son ancien amour qui réapparaît tout à coup lui apportant un moment de joie intense mais éphémère. Il y a ceux qui en veulent à sa peau et dont il saura tirer partie le moment venu. Face à toutes ses attitudes qui jugent et condamnent ou qui adulent, lui reste droit dans ses bottes. Il sait qu’il a tué, il l’assume, il ne se juge pas, il ne se repent pas. Il a vécu dans des conditions rudes que la nouvelle Amérique ne connaît pas. Il a dû se protéger pour survivre. Il assume à présent cette nouvelle réalité de son cancer, préparant son départ, goûtant les derniers instants de vie qui lui restent et sachant en profiter. Sans repli sur lui, mais en accueillant également cette toute nouvelle fragilité dont il fait l’expérience. Durant ces derniers jours, ce vieil homme solitaire tisse des relations authentiques autant que possible avec son entourage.
The Shootist est un très beau film, sans pathos, sans artificialité, un film sur le passage d’une Amérique à une autre et sur les derniers instants d’une vie qu’il n’appartient à personne de juger. Le film que Wayne méritait de tourner avant de mourir.