On connait la capacité de Murnau à traiter de l’osmose entre l’espace et ses personnages : Le Dernier des hommes en est un exemple éloquent. Le protagoniste est portier dans un grand hôtel, au point névralgique entre la rue en pleine ébullition et le hall, par le biais d’une porte tambour qui perpétue un mouvement qu’il croit voué à durer éternellement. Massif, engoncé dans une superbe livrée, l’homme est sa fonction, et n’existe point sans elle, et reste ivre de fierté sur tout le trajet du retour, dans des logements modestes en tous points opposés à ceux dans lesquels il travaille.


Trop vieux, trop gros, trop fatigué, l’homme est licencié. La scène où il en prend conscience se fait par l’entremise de cette porte tambour, dans laquelle il aperçoit son double et remplaçant : la ville continue de tourner, mais ce sera sans lui.


S’en suit un récit sensitif, fondé sur les ruptures de trajectoire : alors qu’on lui arrache son costume comme on l’écorcherait de sa carapace, l’homme ère et retourne voler sa livrée pour ne pas subir l’humiliation d’un retour qui montrerait de façon ostentatoire son déclassement. Murnau opte pour un point de vue interne, voire quelques séquences en caméra subjective, et expérimente à tout va : vertiges d’une caméra embarquée, jeux sur la mise au point, tangage de l’ivrogne, tout est fondé sur la mobilité.


Le dernier des hommes est un jalon dans l’histoire naissante du cinéma : Murnau y fonde la fameuse Entfesselte Kamera, « caméra déchaînée » qui quitte la fixité qu’elle avait jusqu’alors pour franchir tous les espaces, passer les portes ou monter les escaliers, et se fondre avec le parcours du protagoniste.


On peut y voir les prémices de ce que sera le ciné-œil de Vertov cinq ans plus tard : la conviction que le cinéma se structure par sa mobilité. Il serait d’ailleurs très intéressant de savoir ce que le cinéaste prévoyait en termes d’accompagnement musical pour les projections, tant celle-ci a d’importance dans le récit, vécu comme une marche en fanfare.


Mais ce que Vertov mettra en œuvre en terme de montage n’est pas encore totalement maitrisé ici. Le récit est assez long (on peut d’ailleurs vraiment se questionner sur la légitimité à en proposer une version longue dans la copie restaurée de 2003, qui passe de 86 à 101 minutes) et erre avec son personnage, avant de bifurquer sur un happy end annoncé par un intertitre assez improbable : « Mais l'auteur a eu pitié de son héros et inventé un épilogue à peine croyable. »


L’expérimentation est intéressante, sa place dans la filmographie de Murnau structurante ; lui manque ce supplément d’âme qu’on avait déjà dans Nosferatu deux ans plus tôt, et qui explosera avec son Faust à venir.


(6.5/10)


https://www.senscritique.com/liste/Cycle_Murnau/1821961

Sergent_Pepper
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le 24 sept. 2017

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