Un homme vieillissant (Emil Jannings) travaille comme portier à l’hôtel Atlantic. Un hôtel de luxe, le genre d’endroit où certains se font servir du caviar à la louche et où on entre par une immense porte à tambour. Le portier a un somptueux uniforme avec casquette, fourragère et boutons à galons qui le font ressembler à un général. Il arbore de grosses moustaches qu’il aime bien lisser. Il est bedonnant comme un bon mangeur.

Malheureusement, le portier porte son âge et il souffre à l’occasion, au point de s’asseoir parfois dans l’entrée quand personne ne se présente. On le voit souffler après une mauvaise averse où il est sorti avec un bel imperméable noir, très long et très souple. Ses difficultés n’ont pas échappé à la direction…

Le film montre le portier au travail, puis de retour chez lui. Bien évidemment, le spectateur perçoit l’écart flagrant de train de vie. Le portier habite dans un immeuble populaire, avec large escalier en colimaçon (et vastes paliers carrés). Une femme (probablement sa fille) prépare un gâteau pour un mariage. Il y a du monde dans les couloirs. Sur le palier, une femme bat un tapis : elle agite la main pour écarter la poussière au passage du portier.

Et puis le lendemain, catastrophe. Quand le portier arrive devant l’hôtel, il croise un homme portant un uniforme comparable au sien et qui occupe son poste. Cet homme est plus jeune que lui, mais aussi plus grand et plus mince. Enfin, l’homme ne lui jette pas le moindre regard…

Ici, Murnau (avant « L’aurore ») se montre un technicien impressionnant. La caméra se montre remarquablement mobile (le film date de 1924). Et le montage !… Superposition d’images (à l’intérieur du document annonçant le licenciement), trucages visuels (la malle soulevée comme une plume, images déformées par une vision due à l’alcool), trucages sonores (la bande-son accompagne sans faux raccord des sifflements, cris, sonorité déformée par l’alcool, etc.), effets de caméra subjective (portier soûl) et plan ultra-grossissant montrant les mots du texte de licenciement « Les raisons de votre licenciement sont les manquements dus à votre âge »). Il me paraît également fondamental de signaler que, bien que le film soit muet, il ne présente qu’un seul réel intertitre, où Murnau justifie la fin du film. Murnau éprouve juste le besoin de nous présenter les phrases justifiant le licenciement, pour en faire sentir la dureté. S’il avait vraiment voulu il pouvait s’en passer. Le spectateur comprend parfaitement ce qui se passe, ce qui montre combien il maîtrise le langage cinématographique, faisant du spectateur un véritable partenaire.

De plus, Murnau nous présente une histoire universelle. L’histoire qui nous attend tous, celle du vieillissement. Ce moment que nous retardons tant bien que mal et tant que nous en avons les moyens. C’est bien pourquoi le portier cherche encore et toujours à montrer qu’il est encore capable de certaines choses, quitte à s’avilir en travaillant dans les lavabos de l’hôtel. Le travail est un moyen de se sentir utile. Les lavabos, drôle d’endroit pour une rencontre ? Pourtant c’est là que Murnau va situer le lieu où le portier va rencontrer celui qui changera sa vie. Et Murnau ne nous présente pas cela comme un happy end « obligé ». En deux ex machina, il explique qu’il a eu pitié de son personnage. Et il montre que la vie c’est profiter de ce qu’on apprécie. Le portier est trop vieux pour d’autres choses ? Qu’importe, il peut apprécier la bonne chère proposée dans le restaurant de l’hôtel. Cette dernière partie peut sembler un peu longue, car on a compris. Mais il faut aussi savoir prendre le temps de profiter des meilleures choses.

A signaler également que l’accompagnement musical est particulièrement judicieux. La toute première partie du film en est la parfaite illustration. L’image sépia montre longuement le portier au travail. On voit le lieu, les hommes, la ville, les voitures et l’animation. Que demander de plus ? Tout est là. Quand tout se passe normalement l’accompagnement musical est joyeux (on est en plein dans les années folles), parce qu’on est dans un lieu agréable. Mais dès que la situation se gâte pour le portier, l’accompagnement musical se fait dramatique, avec la basse d’un tambour. Ce tambour qu’on entend ensuite à plusieurs reprises pour indiquer un cœur qui bat. N’oublions pas l’expressionnisme bien visible avec notamment une magnifique silhouette qui bouge en ombre portée sur un mur.
Electron
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le 5 janv. 2013

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