Retour en grâce pour Ridley Scott

Après plusieurs années d'égarement Ridley Scott revient enfin en forme avec un film soigné sur la forme et sur le fond, des interprétations brillantes et charismatiques est un sujet qui mélange intimité, honneur et jeux de pouvoir. Avec Le Dernier duel, il livre à la fois un film d'époque solide étayé par les témoignages historiques et juridiques mais également une relecture moderne de cette histoire qui fait forcément écho à nos débats contemporains. Le Dernier duel n'est pas un simple film opportuniste qui ressort un fait divers à l'époque #metoo, il offre au contraire un nouvel éclairage plus réaliste et en cela plus tragique sur la place des femmes au Moyen Âge souvent si idéalisée dans les films d'époque.

L'intérêt du film réside dans sa narration des faits selon trois points de vue, qui ne se révèle pas répétitive, car chaque narration donne à la fois sa vision d’un personnage, sa place sur l’échiquier du pouvoir mais aussi le contexte dans lequel chacun évolue. Après avoir relaté les deux versions de Jean de Carrouges et de Jacques Le Gris, l'une teinté d'un bleu glacé et l'autre des ors et rouges des soirées festives, Ridley Scott fait la part belle à son dernier volet qui l'appelle alors un poil pompeusement « la vérité ».

Attention, j’ai quand même un bémol sur le procédé du film : les deux premières parties sont un peu longues, décousues et presque manichéenne face à une troisième bien plus riche. Le déséquilibre voulu redonne du dynamisme après déjà plus d’une heure de film, mais l’ensemble n’est pas toujours subtil, avec des propos ou des situations parfois très appuyés.

La dernière partie se place du point de vue de Marguerite, magnifiquement interprétée par Jodie Comer, et démontre alors le statut socialement largement inférieur des femmes du Moyen Âge, coupables de naissance par la religion, traitées comme une propriété matérielle et sans existence juridique propre. Marguerite offre un contrepoint fascinant et révèle les intentions cachées et beaucoup moins louables de nos "preux chevaliers". Un simple changement de perspective ou une légère nuance dans les postures des personnages ou leur ton de voix suffit à changer entièrement la tonalité de certaines scènes.

L'incident se révèle être l'étincelle tant attendue par Jean de Carrouges pour régler ses comptes avec son rival dans un cadre politiquement acceptable mais dans une réalité de fureur et de sang. La vérité ou le besoin réparation perdent alors de leur sens au profit d’un besoin de revanche. Il n'y aura point de justice pour Marguerite, uniquement un combat d'honneur pour Jean — son honneur à lui. Sa réparation à elle ne viendra pas de la foule ou du pouvoir, qui la considérera toujours sous un mauvais œil, mais au contraire dans sa sortie des jeux de pouvoir, la laissant enfin maître de son destin.