Un immense oubli dans les classiques connus et reconnus du cinéma japonais, dans la droite lignée du Entre le ciel et l'enfer de Kurosawa, et augurant en un sens les immenses adaptations de Matsumoto par Nomura. On trouvera ici la rigueur formelle présente dans les deux, cette manière d'associer l'enquête, le polar pur, avec des préoccupations sociales fortes.
Un élément central fait beaucoup penser aux romans de Matsumoto, cette envie de parler des cicatrices de l'immédiat après-guerre, tout en prenant le recul suffisant pour ne pas tomber dans un misérabilisme victimaire.
Mais Tomu Uchida ne se contente pas de le faire par le biais de l'intrigue, en révélant les blessures cachées du passé, mais en fait un sujet fort, tentant un portait par touches de cette période, de la prostitution à l'occupation américaine, de cette société en flou où la solidarité est partout et nulle part à la fois. En décrivant cela il nous offre des plans absolument inouïs, comme une première vision des bas-fonds tokyoïtes filmée à la grue, merveilleuse de part le grouillement de vie qu'elle offre, tout en restant picturalement éblouissante.
Car en plus de ses qualités de polar, jouant très habillement sur ce que l'on sait mais aussi sur ce que les personnages imaginent, chaque plan de ce Détroit de la faim est stupéfiant de beauté. Les côtes découpées filmées en contre-plongée, les ruelles citadines, les faubourgs de la mégalopole en expansion, les intérieurs, tout est filmé avec une attention toute particulière.
C'est bien là la marque d'un grand film, qu'il s'agisse de l'esthétisme ou de la tension dramatique, il a beau durer près de trois heures, aucun moment n'est négligé, chaque seconde est aussi belle qu'elle n'est intrigante ou en tension, s'inscrivant autant dans une tradition de polar occidental que dans une approche et des problématiques typiquement japonaises, s'offrant même le luxe de cette fin, admirable.