On pouvait s’étonner de l’absence de Dupieux à Cannes l’an dernier, dans la mesure où il avait deux films déjà prêts – et sortis depuis, en aout (Yannick) et février (Daaaaaali), avec le succès que l’on connait. Pas de quoi décourager le prolifique trublion, qui sort donc son troisième long métrage en dix mois, et s’offre une promotion pour la convoitée ouverture hors compétition du Festival.
Le Deuxième Acte avait déjà le mérite d’offrir une bande-annonce méta assez délicieuse, renouant avec cette tradition un peu perdue (on pense notamment à ce que proposait Chatiliez en son temps) d’un spot ne se contentant pas d’extraits du film. On y voit le casting se battre pour tenir le haut de l’affiche, clin d’œil malin à la tendance actuelle qui voit tout le cinéma français se précipiter pour tourner avec un réalisateur détendu, offrant des tournages courts et redoutablement efficaces. Autour de la figure de Raphaël Quenard, largement associé à Dupieux depuis trois films, Louis Garrel, Léa Seydoux et Vincent Lindon font donc leur entrée, pour un petit jeu de massacre où ils n’hésiteront pas à égratigner leur image publique, le premier exagérant le politiquement correct, la seconde en actrice capricieuse et ratée, et le dernier en vieille star à l’égo surdimensionné.
Les jeux de ruptures – les comédiens interrompent régulièrement leur scène pour jouer le rôle de ceux qui la jouent et entrent en conflit - convoquent beaucoup les transgressions qu’affectionnait Blier dans certains de ses films, mais sont évidemment familières de Dupieux, de Non Film aux interludes de Rubber, en passant par Réalité, les récits encadrés de Fumer fait tousser ou le tournage du documentaire de Daaaaaali. L’alchimie fonctionne parfaitement, et c’est de l’écart entre le film en abyme et le naturel ingérable des comédiens que surgit l’authenticité des échanges, oubliant très rapidement le pitch initial. L’occasion pour Dupieux d’aborder les tensions actuellement à l’œuvre dans l’écriture, bannissant la spontanéité dénuée de finesse et les élans mal gérés. S’il brocarde la cancel culture et fait un état des lieux relativement inquiet sur ses excès avec un catalogue assez savoureusement provocateur de tous les sujets « problématiques » du moment, il évite toutes les facilités du « on ne peut plus rien dire » en ne prenant jamais le parti de ceux qui se lâchent sans une once de finesse sur les sujets en question.
L’absurde cher à Dupieux tarde plus que de coutume à faire son entrée, et rejoint en cela Yannick, dans la mesure où il prend son temps pour filmer l’individu : en situation de jeu dans une fiction de piètre qualité, puis dans ses interactions sociales – ou bien souvent, la veulerie supplante le reste. Le traitement tragico-burlesque de la figure du figurant en atteste : jouer la comédie est un métier cruel, pour soi d’abord, puis, une fois cette étape passée, pour les autres.
La révélation sur l’IA à l’origine du projet apporte quelques évolutions facétieuses, mais reste finalement anecdotique.
Elle n’est que le prélude à un épilogue en miroir des très longs plans-séquences initiaux, où les masques tombent, et une certaine forme de tendresse surgit, notamment dans le beau duo formé par Quenard et Lindon. Si les élucubrations sur les frontières poreuses entre réalité et fictions achoppent, c’est qu’elles ne concernent que l’emballage et la forme assez brillamment menée par Dupieux, qui semble ici davantage intéressé par les mystères fragiles du cœur humain.