C'est une chronique du milieu inspirée par un roman de José Giovanni, mais qui s'éloigne du style série noire à la française, avec le pittoresque de Pigalle et ses truands folkloriques, on retrouve plutôt ici le style du film noir américain des années 40-50, celui de Hawks, Dassin, Walsh ou Huston... on sait que Melville est le cinéaste français qui s'en est le plus approché. Le Deuxième souffle est une sorte de sans faute, tout y est à sa place, le scénario, très classique, pour ne pas dire conventionnel, fonctionne parfaitement, le héros, ses amis (sa soeur, ses complices), ses ennemis (certaines crapules), ses adversaires naturels (la police), agissent en fonction de leur statut. Ce monde des truands organisé comme n'importe quelle entreprise, avec un code et une morale, est remarquablement rendu. Melville ne juge pas, il s'intéresse comme souvent, aux comportements humains, aux rapports d'amitié, de loyauté, mais aussi de force.
Lino Ventura, sorte de Bogart usé, marqué, triste et lucide, est pris dans un engrenage d'événements, où la police, par ses méthodes habiles, précipite la fatalité criminelle. L'action et la psychologie vont de pair, avec quelques ambiguïtés. Dans un style sec, épuré, volontairement lent, Melville joue sur l'attente, le vide, le silence et la peur, les regards sont parlants et intenses, les gestes prennent une signification comme une poignée de main, une accolade qui chez ces truands, révèlent l'affection des hommes d'honneur. Cette solidarité des truands aujourd'hui n'est plus qu'un mythe. Le film revêt un sens tragique car le destin de Gu est écrit dès le début, il ne peut y échapper, c'est un implacable compte à rebours. De plus, la date et l'heure s'affichent régulièrement sur l'écran, comme autant d'actes d'une tragédie, d'une fatalité.
Ce qui manque à cette trop grande rigueur, accentuée par un noir & blanc superbe (le dernier pour Melville avant de passer à la couleur), c'est un peu d'âme, une certaine vibration que l'on retrouve justement dans les polars américains. Mais ce n'est pas bien grave, car Melville nous offre un de ses plus beaux films, aidé par un acteur exceptionnel comme Lino, entouré d'une équipe remarquable, où chacun est parfaitement installé dans des emplois faits pour eux : Marcel Bozzuffi, Raymond Pellegrin, Paul Frankeur, Michel Constantin... sans oublier Paul Meurisse au jeu d'un flegme fabuleux (son entrée lors de sa première scène dans le bar est fantastique, un vrai numéro d'acteur), et l'étonnante Christine Fabréga que Melville avait remarqué à la télévision, et qui fait d'elle un personnage féminin d'une étrange vérité.
Un polar oppressant et dur, admiré par des gens comme Tarantino, John Woo ou Scorsese, et qui pourtant est totalement à l'opposée de leurs styles respectifs, car il n'est ni clinquant, ni ironique, sans ralentis ni effets choc, c'est juste une perle noire à voir absolument.