Quatre ans plus tôt, Le Doulos marquait un coup d'accélérateur dans l'oeuvre de Melville : Le Deuxième Souffle est un accomplissement. Tout y est rempli, achevé ; le champ est plus large et chaque figurant a une identité forte. C'est un film de techniciens sophistiqués, encore et avec même plus d'aisance ; c'est aussi un produit bien plus raffiné, précis, dans la création et la gestion de ses troupes. La double influence de Melville s'y fait sentir : celle des films noirs US et l'autre, moins citée y compris par lui, des japonais. Et au-delà le cinéaste français tisse son propre matériau, avec le renfort de José Giovanni (au scénario), dont l'essentiel de l'œuvre est une peinture de la pègre.
Le programme tend vers l'épure totale, mais avec un goût du détail et une hauteur sur les événements ; sensuel et brutal, avec quelque chose d'aérien. Si on ne se rend pas disponible, ce moment de cinéma nous y force. Car Le Deuxième Souffle est lent, épais, grave ; on y est fatalistes mais néanmoins dans l'exécution, de sa destinée ou de sa volonté peu importe, il faut être acteur même résigné puisque le marionnettiste garde pour lui ses équations. Si ce film était une musique, ce serait du doom. Il est racé de manière étourdissante, sans le moindre superflu.
Ici pas de poses auteurisantes (comme celles de la Nouvelle Vague dont les artisans louent justement Melville), une place toute relative à cette 'authenticité' littéraire et gouailleuse sacralisée dans le polar français à cette époque ; un lot de bons mots pourtant, arrivant comme les exposés d'hommes vannés et intenses. Plus de Belmondo immature ni de Reggiani affecté, mais des héros du 'milieu' et toutes ses ramifications, où policiers et malfrats embourgeoisés sont impliqués. Giovanni et Melville introduisent un groupe de personnages très charismatiques, élégants et distanciés même dans l'action ou accablés par une violence ou des sentiments impérieux.
Le deuxième souffle pourrait être le reboot d'un des films fétiches de Melville, The Asphalt Jungle (film noir tourné par Huston en 1950), où les personnages prennent plus de place qu'une intrigue au fond très conventionnelle. Comme dans celui-là, l'humour est présent, en mode feutré et mordant. Melville réussit bien mieux que son modèle ; par exemple les considérations philosophiques s'ancrent dans le concret, au lieu de venir se poser là un peu par quelque inspiration fugace des auteurs. L'entrée de Paul Meurisse est fracassante, où l'inspecteur anticipe les réponses des témoins potentiels du meurtre qu'il est venu constater, transformant sa colère et son dépit en mise en scène sarcastique.
Factuellement la séance peut être ardue à suivre à cause du climat aride et des méthodes ; elle devient même en cours de route très contemplative, presque abstraite. Ce n'est d'ailleurs pas le meilleur temps du film ; cette propension annonce en tout cas l'échappée profonde constituant Le Samouraï. C'est en se resserrant sur Lino Ventura que la trame redevient plus limpide. Son histoire seule comptera dans la dernière lignée, le film revenant à plus de lisibilité et embrassant finalement un certain classicisme à mesure que s'approche l'heure de la révérence, sans se départir de cette mélancolie malicieuse.
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