...all the time
La force d’un film tient à une alchimie mystérieuse. Vous pouvez réunir tous les ingrédients les plus prestigieux, rien ne vous garantit que leur assemblage aura la saveur espérée.
Prenons ce projet d’Antonio Campos, passé jusqu’alors assez inaperçu, et à qui Netflix offre une belle opportunité : un récit au long cours adapté d’un roman acclamé de Donald Ray Pollock, un casting attrayant (Tom Holland qui quitte le lycra de Spider-Man pour s’essayer à une réelle composition, Pattinson et Jason Clarke en pervers), une atmosphère poisseuse du centre des USA sur une trentaine d’années, et un goût immodéré pour le tragique : tout est là.
On pense évidemment à Cormac Mccarty et sa prédilection pour la condamnation générale de ses protagonistes, dont le plus bel exemple d’adaptation à l’écran reste indéniable le No Country for Old Men des frères Coen. Le désespoir est à peu près identique dans ce portrait choral où chaque rencontre peut dégénérer en mort violente, quand le destin ne se charge pas d’annihiler les chances de ceux qui restent vraiment innocents.
L’exposition fonctionne ainsi de manière très efficace : par touches rapides, les portraits s’esquissent, se croisent, naviguent dans le temps, prennent suffisamment chair pour qu’elle puisse, très rapidement, se voir suppliciée. Le fait de lier étroitement ces destinées à la croyance ne fait qu’accroitre le sentiment du tragique : ceux qui ont la foi s’accrochent à un Dieu mutique, et ses plus fervents idolâtres en font le mobile des pires exactions, par le sacrifice (d’un chien, d’une épouse) ou la recherche d’un sublime qui vise à annihiler la fragilité des humains. On pense aussi, dans ce regard clinique sur une civilisation perdue (géographiquement, mais aussi dans ses attentes et son salut) à celui de P.T. Anderson dans There Will Be Blood, le fanatisme devenant la seule voie par laquelle une étincelle peut encore allumer les consciences.
Le recours à la voix off enfonce le clou dans la croix, d’autant que le narrateur n’est autre que l’auteur du roman initial, ajoutant à cette volonté de patine littéraire qui ferait des personnages les pantins d’un vaste et funeste dessein, où le mal règne en despote, chaque histoire d’amour ou de filiation se ternissant des mensonges, des abus, de la corruption, de la maladie ou de la perversion.
La barque est chargée, mais tient la barre dans la mesure où une ligne fragile d’équilibre entre les interprétations et la sécheresse générale de ton parvient à se mettre en place. La narration, particulièrement, ménage bien ses apparentes digressions d’une destinée à l’autre avant de forcer une convergence qui parvient à boucler la boucle en revenant aux origines.
Reste cette alchimie, qui manquera tout de même, sans qu’on parvienne réellement à l’expliquer. La faute, peut-être, à un ensemble qui privilégie l’écriture sur la chair, les actes aux caractères, la distance à la présence, pour un film qui ne démérite pas, mais ne parvient pas à réellement s’émanciper d’une ombre tutélaire qui semble le pétrifier : la littérature.
(6.5/10)