Le diabolique docteur Z par Claire Magenta
She Killed in Ecstasy (Sie tötete in Ekstase) de Jesús Franco, avait l'apparente « particularité » d'être la relecture d'un précédent long métrage réalisé par son auteur : Dans les griffes du maniaque - Le diabolique docteur "Z" (Miss Muerte). Vampée par sa muse Soledad Miranda, cette mariée en noir de 1970 séduisait, puis causait la perte des quatre médecins responsables du suicide de son défunt mari. Or cinq années auparavant, le cinéaste madrilène avait donc usé du même stratagème vengeur, offrant à l'occasion l'un de ses meilleurs films, ou la synthèse des thèmes passés et futurs chers, au réalisateur de L'horrible Docteur Orlof.
Au congrès international de neurologie, le professeur Zimmer (Antonio Jiménez Escribano) présente à ses pairs le sujet de ses travaux : l'étude des centres nerveux moteurs. A l'instar des précédentes recherches du controversé docteur Orloff, Zimmer prétend que certaines parties des lobes cérébraux et de la moelle épinière pourraient déterminer, d'une part les bonnes actions, d'autres part les mauvais actions des êtres vivants. Le mal n'aurait ainsi qu'une origine purement physiologique. Grâce aux dénommés rayons Z capables d'éliminer, de neutraliser, ou d'exacerber ces centres moteurs, le professeur conclut son exposé par la possibilité de métamorphoser les maniaques et assassins en êtres « normaux ». Demandant la permission de pouvoir continuer le fruit de ses recherches sur un être humain, Zimmer se fait prendre violemment à partie par ses collègues, ces derniers lui interdisant formellement de poursuivre ses honteuses expériences. Zimmer, choqué et meurtri par ces réactions violentes, meurt peu après d'un infarctus, jurant à sa fille Irma (Mabel Karr) dans un dernier souffle de continuer ses travaux...
Produit par le duo Michel Safra / Serge Silberman, et co-écrit par le jeune Jean-Claude Carrière, tous trois respectivement producteurs et scénariste du Journal d'une femme de chambre de Luis Buñuel, il était d'ores et déjà inscrit que ce docteur "Z" se démarquerait ostensiblement de la proéminente filmographie francienne. Nouvelle relecture de L'horrible Docteur Orlof après le mitigé Les maîtresses du docteur Jekyll, le long métrage s'éloigne de l'original et du classique de Georges Franju pour se diriger vers l'érotisme halluciné des années à venir. En marge du gothique d'un Mario Bava, en proposant aux amateurs du genre une version à la fois surréaliste, telle la scène où Mabel Karr se protégeant d'une chaise fait tâter du fouet à l'incontrôlable et sauvage Estella Blain, et expressionniste à l'image de la photographie d'Alejandro Ulloa, Jesús Franco dresse un large éventail de ses multiples influences et (auto)références cinématographiques.
Disposant d'un faible budget comme à l'accoutumée, le cinéaste espagnol tire cependant allègrement son épingle du jeu. Thriller fantastique doté d'éléments visuels inspirés, Franco est également secondé au scénario par un malicieux Jean-Claude Carrière assaisonnant cette vengeance filiale de quelques bons mots judicieux. Évoquant autant l'âge doré des monstres et autres laboratoires de savant fous made in Universal, que Les Vampires de Louis Feuillade, Miss Muerte distille un doux parfum macabre à l'atmosphère expressionniste. Relevé par l'habituel humour distancié francien qui accompagne l'enquête policière, le commissaire est interprété cette fois-ci par Franco himself.
La référence au feuilleton de Feuillade, et en particulier à la belle Musidora, muse des Surréalistes, est loin d'être anecdotique, et est au contraire au centre du récit de Franco et Carrière. Au delà de la simple substitution de prénom entre la fille du professeur Zimmer et Irma Vep, le personnage de Miss Death (Estella Blain) de par son costume et sa fonction fait ainsi le lien entre l'héroïne des Vampires, et l'instrument de la vengeance d'Irma Zimmer. De même, le numéro de cabaret de Miss Death, nue sous son collant en maille glissant sur une toile d'araignée afin de séduire un mannequin, apparaît comme l'acte fondateur ou le prélude à la vampirisation francienne des années 70. Faisant directement écho au numéro de Soledad Miranda dans Vampyros Lesbos, cette théâtralisation symbolise à elle-seule le destin tragique des héroïnes franciennes. Cette danseuse devenue simili robot aux ongles empoisonnés, représente le premier pas vers la figure féminine du vampire francien, ou la jonction entre le futur personnifié par les personnages de Soledad et Lina Romay, et le passé incarné par la force brute d'Hans Bergen (Guy Mairesse) ou le Morpho de docteur Orloff.
Entouré d'Howard Vernon et Marcelo Arroita-Jáuregui dans les rôles des docteurs Vicas et Moroni et accompagné par la musique cauchemardesque de Daniel White, Le diabolique docteur "Z" marque une seconde étape importante dans la filmographie de Jesús Franco, et semble en tout point être un bon début pour celui ou celle qui voudrait découvrir l'un des plus abordables films de ce cinéaste attachant.