On découvre Veniamin hors-champs : sa mère le houspille de sécher les cours et notamment la piscine. Sans ambages, elle lui parle de son corps, des érections incontrôlables fréquentes à son âge et continue la conversation à la salle de bains tandis que le garçon pisse. Il apprend ensuite à sa mère qu’il n’a rien foutre de son corps, qu’il ne veut pas se dénuder par respect des préceptes bibliques, révélant du coup sa crise mystique. Le ton du premier film sortant en Occident du russe formé au théâtre et à la télévision Kirill Serebrennikov est donné dans cette scène inaugurale : un mélange détonant entre farce et tragédie, grotesque et sérieux, comique et gravité.
Récitant des passages de la Bible, dont le nom des auteurs est d’ailleurs incrusté à l’écran, le garçon au charme trouble devient le centre d’intérêt de son école, élèves comme professeurs. Il sème ainsi la confusion physique et mentale autour de lui, à la fois objet de désir et révélateur des interrogations plus profondes des adultes sur l’existence de Dieu, les théories créationnistes et la place de la religion. Alors qu’on le laisse divaguer et perturber les cours à sa guise, comme un clown facétieux et distrayant, sans que personne ne semble s’inquiéter d’une dérive qui n’est guère prise au sérieux, seule sa prof de biologie tente de désarçonner le lycéen et de le combattre avec ses propres armes.
Le malaise s’installe et l’attitude de plus en plus radicale et incontrôlée du garçon laisse craindre le pire. Pourtant, on a longtemps peine à croire qu’il puisse survenir : étrangement, il suscite autour de lui sympathie ou surtout indifférence. Refus de voir ou approbation silencieuse, peut-être est-il aussi l’aiguillon qui titille la société russe contemporaine qui a enterré le communisme et s’est vite convertie aux mirages du capitalisme ? En tout cas, le film met en place par une mise en scène maitrisée une démonstration intelligente et stimulante qui n’est jamais appuyée ou pontifiante, car allégée d’une drôlerie salvatrice. Les vieilles rancœurs, l’antisémitisme et l’homophobie sont cachés dans l’ombre et ne demandent qu’à être réveillés par l’outrance cathartique du garçon, ange maléfique et destructeur, à l’image du héros pasolinien de Théorème. Le Disciple est donc un grand film politique, jubilatoire et éprouvant qui crée une tension croissante et une réflexion nécessaire et réconfortante chez le spectateur.