A l’heure où les faits dramatiques d’actualité stigmatisent l’Islam radical, « Le disciple » s’attaque à l’extrémisme chrétien en la personne du jeune Venianim, post adolescent illuminé.
Kirill Serebrennikov puise les ressources de son scénario dans la pièce « Martyr » de Marius von Mayenburg quelque peu aménagée. Il y avait là un vrai risque à l’entreprise, celui de la théâtralisation, mais c’était sans compter sur la virtuosité du réalisateur qui ne se contente pas d’habiller le texte, mais véritablement de le transcender. La mise en scène, est en effet surprenante et captivante de part en part. Elle ne se contente pas seulement de ces superbes longs plans séquence dont parle tant la presse. Nombre d’enchainements d’une scène à l’autre ainsi qu’un montage acéré et vif donnent une impression incroyable d’unité, de bloc. Avec pareil rythme, Serebrennikov immerge le spectateur dans cette descente aux enfers. Au niveau lumière, les effets de style nimbent petit à petit un même lieu, ou visage, aux couleurs des ténèbres en fonction de l’emprise négative de Venianim. Les scènes de piscine étant, dans ce sens, exemplaires, passant d’une surexposition de couleurs au début à une presque pénombre après l’intervention du jeune homme. La folie religieuse est pandémique, et elle envahit peu à peu l’écran.
Le poids de la religion pèse donc lourdement sur le film, elle est une nouvelle forme d’insurrection qui dissimule bien des traumatismes. Pour Venianim d’abord, dont le mysticisme forcené offre un rempart solide à ses angoisses (sexualité, avenir, estime de soi…). Plus largement, elle touche au cœur une Russie traditionnaliste qui depuis la chute du mur de Berlin subit l’évolution des mœurs ou sociétale. La religion étant ici un nouveau joug tout aussi « confortable » que fut jadis le communisme où tout semblait si carré. Avec elle, les vieux démons peuvent ressurgir (nationalisme, pudibonderie, homophobie…), elle libère et rassure. Elle est une autre forme de pouvoir, facile et ne requérant que peu de qualités, ce qu’a parfaitement compris Venianim.
La conception du récit est elle aussi très habile en opposant de façon dialectique deux points de vue différents avec le jeune fanatique (l’obscurantisme) qui ne s’exprime que par des citations de la bible, souvent sorties de leur contexte et la psychologue (bien ancrée dans la « modernité ») qui tente tant bien que mal d’exprimer les valeurs d’une société libérée. Le rapport de force est tangent et s’inverse peu à peu. Là également, l’un des procédés du fanatisme est mis en exergue.
Si l’on peut reprocher au film cette volonté jusqueboutiste dans la démonstration de la folie extrémiste, il propose suffisamment de moments cocasses pour ne pas sombrer dans le pensum militant. Et la précision de l’interprétation emporte l’adhésion totale. Petr Skvortsov est époustouflant, Victoria Isakova puissante et Aleksandr Gorchilin (qui tenait le rôle titre dans la pièce) incroyablement émouvant.
« Le disciple » est d’ors et déjà un film incontournable par son intelligence et la justesse de son propos.