Le film est sorti en deux parties, Der Große Spieler : Ein Bild der Zeit et Inferno : Ein Spiel von Menschen unserer Zeit, qui réunies sous le titre de Doktor Mabuse, der Spieler (titre du roman d'origine) forment un film de plus de 4h30. En France, on le trouve sous les noms de Le Docteur Mabuse et Mabuse le joueur. La durée peut faire peur mais si vous aimez le genre, le temps passe très vite grâce à une mise en scène, un rythme et un montage vraiment prenant pour un film qui se dirige tout droit vers le club des centenaires. Il est même assez révolutionnaire sur un plan technique. L'histoire est suffisamment riche en rebondissements, suspense et personnages travaillés pour maintenir l'intérêt et les interprétations remarquables de Rudolf Klein-Rogge dans le rôle principal, de la sympathique Aud Egede-Nissen et de quelques autres finissent par nous emporter.
Si je ne m'abuse (voilà la vanne est faite...), le personnage apparaît pour la première fois en 1921 dans un roman de Norbert Jacques, soit un an seulement avant cette adaptation. Mes connaissances sur le Docteur Mabuse se limite aux films de Lang mais en voici une petite présentation : Il s'agit, à l'instar de ses contemporains Fu Manchu et Fantômas, d'un génie du mal doté d'un vaste réseau criminel et d'une grande intelligence. Il a également un don pour le déguisement et l'hypnose qu'il utilise pour piéger ses victimes. Il se salit peu les mains et tire les ficelles de loin, il peut même continuer à exister et faire prospérer ses crimes lorsque tout le retient (chose que l'on constate plus facilement dans les films suivants). Il semble inarrêtable comme s'il n'était en fait que la représentation concrète d'un mal abstrait, celui qui ronge la société. C'est davantage un esprit menaçant permanent qu'un seul être dépendant d'un corps mortel. Il est l'incarnation du Mal. Cela confère un côté mystique au personnage (que Lang jugera lui-même trop appuyé dans sa suite de 1933) qui semble agir dans le simple but de semer le chaos (pour la petite anecdote, il est la principale source d'inspiration du Joker de Nolan). Le film est tourné dans une Allemagne d'après-guerre sombre au contexte économique difficile. Le film a donc une portée sociale et politique, se faisant peinture de la République de Weimar.
Le Docteur Mabuse ne reçoit pas toujours autant d'égards que d'autres classiques du maître allemand (Les Nibelungen, Metropolis, M le Maudit). Le film a pourtant une place importante dans sa filmographie, il s'agit de son premier gros coup après des succès plus relatifs comme Les Araignées ou Les Trois Lumières et place à l'époque Fritz Lang parmi les chefs de file de l'expressionnisme allemand aux côtés de Robert Wiene (Le Cabinet du Docteur Caligari) ou F.W. Murnau (Nosferatu le vampire, L'Aurore). Bien qu'il ait toujours voulu être écarté du mouvement, il ne nie pas leurs inspirations esthétiques communes. Avec sa scénariste de femme, Thea von Hardou, il se plaît à mêler les genres aux techniques révolutionnaires expressionnistes afin de produire des films populaires et divertissants tout en gardant en haute importance la dimension artistique de ses œuvres. Il réalisera une suite parlante en 1933, Le Testament du Docteur Mabuse et un troisième film, Le Diabolique Docteur Mabuse en 1960 à son retour en Allemagne après une carrière aux États-Unis. Il s'agira de son dernier film mais celui-ci engendrera de nombreuses suites plus ou moins officielles tournant plus vers la série B.
Au-delà de son scénario intéressant, de ses représentations sociales, de ses innovations techniques et de son impact esthétique indéniable, ce Docteur Mabuse peut aussi être vu comme reflet du cinéma en lui-même, spectacle d’illusionnistes et d'hypnotiseurs. En bref, il s'agit d'une œuvre très riche et d'un incontournable dans la vie d'un cinéphile. Le genre de films qui a fondé les bases du septième art pour le siècle suivant.