Le réalisateur Michel Deville étant disparu récemment dans l'anonymat médiatique, c'est l'occasion de parler de ce film vu il y a longtemps et revu grâce à Arte.
Michel Deville excellait dans les exercices de style, pouvant passer de la description des rapports de couple à un austère film d'espionnage comme ce dossier 51 qui s'attaque au genre du film de complot, un sujet inépuisable dans nos sociétés technologiques informatisées. L'histoire de Dominique Auphal, diplomate, mis sous surveillance par des services secrets, ne semble pas la promesse d'un film d'une originalité folle. D'autant que le début, volontairement glaçant, avec une voix off impersonnelle qui égraine les heures et attribue des numéros ou des noms de code aussi bien aux aux individus mis sous surveillance qu'à leurs surveillants nous casse vraiment les bonbons. La suite sera une enquête dite de voisinage où seront interrogés des proches du sujet Aufale, répondant au numéro de code 51, comme la zone interdite.
Il n'est rien de plus frustrant que d'écouter des témoignages sur un individu d'apparence lisse que l'on ne voit d'ailleurs qu'en photo et qui présente les caractéristiques d'un fonctionnaire modèle, d'un bon fils et d'un bon père de famille. Rien qui ne soit susceptible de le compromettre et par là-même d'éveiller notre intérêt, si ce n'est l'emploi d'une caméra subjective qui rend l'agence privée terrifiante par son ubiquité et sa toute-puissance. Les espions anonymes qui ont décortiqué toute la vie privée de leur victime vont décider de se focaliser sur une ancienne petite amie de « 51 », une anarchiste d'origine polonaise. Le drame se met alors en place d'une manière inattendue.
Les services secrets, au lieu de pratiquer une surveillance rapprochée, mènent l'enquête de leur QG, et parviennent à tirer des conclusions accablantes en mettant en valeur des petits détails qui peuvent paraître insignifiants grâce à la psychologie et à la psychanalyse. Même si les révélations sur la sexualité d'Aufale font de nos jours l'effet d'un lot de ballons de baudruche dégonflés et soldés, il est facile de supposer que dans un régime totalitaire de telles méthodes pseudo-scientifiques ont été ou sont toujours utilisées pour discréditer, voire anéantir un individu. De même l'utilisation de données personnelles en quantité est une préfiguration des dangers du Big Data concernant la confidentialité et le respect de la vie privée.
Malgré l'austérité du sujet et de la mise en scène, on ne peut être qu'impressionné par la magistrale mise en scène tout en sobriété de Michel Deville.
Il faut dire que Deville bénéficie d'un casting de bon niveau, qui comprend notamment des acteurs issus du théâtre comme Roger Planchon, (pour Esculape le chef du service), Daniel Mesguich et François Marthouret ; Anna Prucnal qui a eu son heure de gloire comme chanteuse dans les années 80, ou Patrick Chesnais et sa moustache. Le film bénéficie enfin de l'écriture de Gilles Perrault l’auteur du livre.