Au fond du trou.
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le 15 janv. 2025
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Je suis allé voir ce film sur recommandation d'un membre de ma famille qui partage mon goût pour le true crime et qui l’avait beaucoup apprécié. Quelle ne fût pas ma déception de voir que cette opinion était, elle, loin d’être partagée.
La cinématographie nous plonge bien dans la Belgique déprimante de la fin des années 1980 (malgré quelques effets un peu carton-pâte, notamment concernant les multiples apparitions de JT, où le cinéastes aurait gagné à utiliser des originaux, ou certains effets un peu trop datés comme le freeze frame). Le film est dans l’ensemble bien exécuté même s’il aurait gagné à couper une vingtaine de minutes et le jeu des acteurs varie du correct au très convaincant, sensible et touchant (je pense à Béatrice Dalle). La scène du mariage, très émouvante (donc réussie pour moi), est le véritable moment de grâce du film où se mêle la tresse du film aussi bien du point de vue esthétique que thématique. On y voit un beau jeu d’alternance chromatique qui met en exergue d’un côté des vies de condition médiocre qui s’élèvent à un bonheur trivial et mérité, de l’autre une nuit archaïque des origines rattachées au mensonge, première trahison conjugale du personnage principal. C’est donc une union qui dès l’origine est minée par une sorte de paranoïa identitaire du personnage qui se déploie pendant tout le film.
Mais le problème du film est que cette obsession de Chartier, décuplée par son enquête, abîme le traitement du sujet originel, à savoir une libre adaptation des évènements de l’affaire Dutroux. Et il faut insister ici sur le terme libre qui pose une véritable question : quelle liberté le cinéaste peut-il se permettre dans le cadre de la représentation d’un traumatisme national (voire international d’ailleurs) ? Fabrice Du Welz fait le choix d’aborder cette affaire sous le prisme d’un gendarme martyr qui est plongé dans la folie par son enquête et termine par s’ériger à la fois en ennemi public et en héros familial et finit par faire de Chartier la plus grande victime du film. Nous pouvons, à juste titre, nous demander si ce choix est légitime dans le cadre de cette histoire (peut-être suis-je trop conservateur ou que je ne verse pas assez dans le subversif…).
Du point de vue de l’imagerie, si le premier tiers du film est assez bien géré, la suite baigne trop dans un glauque injustifié à mon goût avec des images profondément choquantes, voire nauséabondes (je pense notamment au choix de représenter les enfants dans des scènes de viol, ce que le début du film évite habilement sans être moins angoissant pour autant). Pour ce qui est de la libre adaptation de l’affaire Dutroux, le premier tiers du film colle relativement (avec une plutôt bonne mise en tension des services de police et de l’inefficacité de l’action judiciaire), à l’exception de ce qui touche au garage Edelweiss, puis le reste part en vrille. Le film en montre trop et en dit trop et c’est au fond la dimension complotiste du film qui finit de salir la dignité et la mémoire des victimes de Dutroux. S’il existe l’hypothèse selon laquelle Dutroux a véritablement été protégé par des hauts placés en tant que pièce d’un trafic d’enfants plus large, rien n’a jamais été prouvé. Du Welz épanche trop vulgairement et sans tact la paranoïa nationale qui a suivi l’affaire, certes preuve d’un traumatisme mais aussi à l’aune d’un déchaînement de passions publiques qui en a fait oublier les premières victimes.
Enfin, pour commenter brièvement la scène finale où Chartier tue Dedieu (selon moi pour se racheter auprès de sa belle-famille, mais les personnes avec qui j’ai vu le film ne sont pas d’accord sur cette interprétation), je dirai qu’elle symbolise bien la névrose un peu déplacée de ce film. La justice privée d’un gendarme martyr (l’imagerie de Jeanne d’Arc n’est par ailleurs pas justifiée à mon goût), c’est le symbole de l’échec d’une justice institutionnalisée. Je crois que c’est une atteinte finale à la dignité et la mémoire des victimes que de dévaluer symboliquement les jugements qui ont reconnu la culpabilité de Dutroux. N’oublions pas que les vrais martyrs sont les victimes.
Créée
le 24 janv. 2025
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