La présentation, l’affiche annoncent clairement un film de genre : policier, thriller... Mais Eran Riklis n’est pas homme à se laisser cantonner dans un style et l’intrigue de base, inspirée par une nouvelle de l’auteure israélienne Shulamith Hareven, « The Link » (« Le Lien »), se voit tôt irriguée par d’autres ruisseaux scénaristiques qui, pour être plus cachés, n’en sont pas moins prégnants.


Un agent du Mossad, Naomi (Neta Riskin), se voit confiée la mission d’être « baby-sitter » auprès d’une informatrice, Mona (Golshifteh Farahani), exfiltrée suite à une mission compromettante et confinée dans une cache supposée sûre, à Hambourg. Commence un huis-clos de quinze jours pour les deux femmes. Naomi assure le ravitaillement mais ne peut s’éloigner de sa protégée plus d’une demi-heure par journée.


L’espace, dès lors, se divise en deux : l’intérieur de l’appartement, constamment ombré de rideaux ou de persiennes, au sein duquel une complicité va progressivement se nouer entre les deux cohabitantes forcées ; l’extérieur - rue ou aperçus furtifs sur les fenêtres avoisinantes -, envisagé comme zone absolue de menaces. La caméra, alors tournoyante, couplée à une bande-son exacerbée et au jeu subtil de Neta Riskin qui doit associer naturel et vigilance, traduit superbement ce sentiment d’une paranoïa commandée, répondant à une exigence professionnelle. À partir du moment où cette conscience est installée, la perception de l’appartement lui-même change, et celui-ci n’est plus uniquement vécu comme « abri, protection » (le « Shelter » du titre original...), mais comme une fragile enceinte de toute part assiégée, portes et fenêtres multipliant ainsi ses points de vulnérabilité. Cette métaphore de l’île, de la clôture et du délicat territoire à protéger, sous-tendait déjà l’un des films précédents du réalisateur israélien, son magnifique « Les Citronniers » (2008), avec ce précieux verger qu’une femme palestinienne souhaitait soustraire à la convoitise de l’occupant israélien. Image de l’espace de vie bien clos qui est ici doublement présente, aussi, à travers les deux maternités des héroïnes : celle, douloureuse, de Mona, que son exfiltration prive de son fils ; et celle, inquiète car incertaine, de Naomi, qui souhaiterait avoir un enfant par-delà la mort en mission de son mari très aimé.


Car cet espace protégé d’un appartement allemand jouera aussi le rôle d’un lieu cicatriciel : la durée de quinze jours correspond au temps nécessaire pour que Mona puisse enfin retirer les bandelettes qui lui dissimulent le visage, suite à l’opération de chirurgie plastique qui vise à la rendre méconnaissable ; c’est aussi le temps durant lequel Mona doit s’injecter les doses hormonales qui la rendront réceptive à l’insémination qui sera ensuite pratiquée ; temps d’intimité avec, pour la première fois depuis sa mort, une personne autre que son mari disparu, temps qui permettra l’installation d’une confiance, voire d’une séduction...


Au-delà de l’intrigue policière (le Hezbollah qui traque Mona parviendra-t-il à la retrouver...?) et du film d’espionnage cernant les jeux de poker menteur des services secrets, on assiste ici à un superbe duo d’actrices. Entre ses bandelettes et la raideur que lui imposent ses supposées cicatrices, Golshifteh Farahani a plus que jamais des airs de reine égyptienne. Le jeu de Neta Riskin, qui lui fait face, est plus subtil et nécessairement plus nuancé, compte tenu de la multiplicité des visages qu’elle adopte (mère protectrice mais aussi guerrière défensive), mais non moins fascinant. Et les zones thématiques explorées, bien loin de celles mises en avant, interrogent tout être, dans ses rapports aux lieux phantasmés comme espaces de protection...

AnneSchneider
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le 15 juil. 2018

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