Le Dragon de mon père
6.3
Le Dragon de mon père

Long-métrage d'animation de Nora Twomey (2022)

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L'exploration de la peur dans un univers magique (7 ans et +)

(Je discute du potentiel épanouissant et éducatif (au sens large) des œuvres que je teste. Voir mon profil pour plus d'explications.)

Quel est le principe de ce film ?

Un jeune garçon et sa mère sont contraint·es de déménager avec presque rien dans une nouvelle ville inquiétante. Au pied du mur, le garçon tente de chercher un moyen de réaliser leur objectif d'ouvrir un magasin et va vivre une aventure sur une île magique.

Est-ce que c'est un bon film de manière générale ?

C'est fort joli et le souci du détail se voit. Une multitude de petites choses rendent ce monde vivant, comme le fait que les décors sont tous finement travaillés même lorsqu'ils n'ont par d'importance dans l'histoire. Le fait que chaque espèce de primate soit clairement inspirée d'une véritable espèce ou encore que le crocodile porte ses petits dans sa gueule rendent visibles que les gens derrière ce film ont cherché à creuser leurs idées jusqu'au bout. Graphiquement, on sent aussi des choix réfléchis, comme le fait que le dragon ait un aspect un peu clownesque par rapport aux autres (c'est cohérent avec sa personnalité). (Sur ce point, il s'agit peut-être de la reprise littérale de la description du dragon dans la nouvelle dont est tirée le film, étant donné qu'une autre adaptation, Elmer et le dragon, présente un dragon identique.) La musique n'est pas en reste et a souvent une tonalité grandiose, peut-être un peu trop parfois.

Je dirais tout de même que l'histoire est un peu dispersée et qu'il n'est pas toujours évident de saisir ce que le film veut nous dire. On a l'impression qu'il n'a pas le temps nécessaire de bien nous expliquer et qu'il presse le pas un peu partout pour finir à temps. Le rythme est néanmoins dynamique sans être hâtif, on suit bien et le suspense est présent une bonne partie du film.

Est-ce que c'est un bon film pour apprendre ?

Malgré un sentiment de ne pas toujours bien savoir ce que le film cherche à dire, son message global reste bien lisible : c'est important de s'avouer lorsqu'on a peur plutôt que de s'inventer que tout va bien. Ce n'est peut-être un propos très original mais il est bien amené. On n'a pas seulement un ou plusieurs personnages qui se bornent bêtement, il y a quelque chose de très compréhensible et naturel dans leurs erreurs. Et on nous les montre de façon claire mais pas trop mise en avant, ce qui peut permettre à un enfant de comprendre le message par lui-même pendant le film avant que les personnages ne l'explicitent à la fin.

Plusieurs autres messages plus ou moins subtils sont présents. Par exemple, que parfois la solution à un problème est juste sous notre nez mais qu'on se refuse à l'utiliser parce qu'elle nous fait peur. Ou encore, qu'il y a une différence entre soutenir sincèrement quelqu'un et vouloir son bien parce que ça va nous être personnellement utile.

Je crains qu'il y ait un peu trop de messages différents et qu'ils manquent souvent d'explicitation, ce qui pourrait empêcher des enfants et des adultes de s'en saisir. Mais en un sens, ça peut aussi être l'occasion de réfléchir un peu et de discuter à propos de ce qu'on comprend du film. Je pense que tout ça aurait pu être plus explicite mais que cela reste un film intéressant et porteur de questionnements positifs pour le développement.

Est-ce que tu le recommanderais ?

Oui et si vous le proposez à un enfant (à partir de 7-8 ans) et que vous vous sentez à l'aise avec ça, je recommanderais d'en discuter avec lui. Si vous ne savez pas bien de quoi, je vous propose ci-dessous un sujet d'exploration.

Proposition de sujet : la peur comme émotion faisant partie de la vie

Le film permet principalement deux explorations de l'expression de la peur. D'un côté, nous avons Elmer, sa maman et le gorille Saiwa qui font la même erreur : répéter que tout va bien, que tout ira bien, qu'ils trouveront une solution, qu'il faut juste compter sur eux. On voit que leur but est de se rassurer et de rassurer les autres, mais que ce faisant, ils tendent au contraire à inquiéter, à empirer le problème et à faire fuir les autres. En effet si on n'est pas honnête avec ce que l'on ressent, on ne l'est pas non plus avec la situation réelle, ce qui nous empêche de bien y répondre (Elmer et Saiwa passent à côté de bons choix par exemple) et trompe la confiance que les autres pourraient avoir en nous (comme Elmer avec sa mère ou Kwan avec Saiwa).

Voyons plus précisement Elmer. Il a peur de ne pas parvenir à faire ouvrir le magasin, il a peur de l'aventure qu'il vit aussi mais prétend le contraire. Tant qu'il est dans cet état d'esprit de "je gère", il est plutôt désagréable avec Boris et l'incite essentiellement à obéir. Il le laisse penser qu'il n'a pas mieux à faire que s'en remettre à lui (le moment sur la montagne où Boris pleure) et ne parvient pas à lui faire confiance lorsque Boris trouve la solution à son problème par lui-même. Sa peur non communiquée lui fait dire des choses blessantes, abimant sa relation avec Boris et incitant ce dernier à penser du mal de lui-même. C'est en acceptant son émotion qu'Elmer peut réellement communiquer avec Boris et s'ouvrir à sa perspective (ne pas seulement vouloir l'aider pour qu'il l'aide ensuite).

L'autre discours sur la peur dans le film est ce qui concerne Boris. Lui fait l'erreur inverse de celle d'Elmer : il laisse la peur lui faire du mal et, ne se faisant plus confiance, cherche à s'en remettre à ce que d'autres décideront pour lui. Il était capable de trouver la solution à son problème et il l'avait même sous lui pendant longtemps, mais il n'a pas pu ni se faire confiance ni tenter d'utiliser cette solution parce qu'il se pensait incapable de surmonter ses peurs. Lorsqu'on laisse la peur remplir notre vie, on peut être tenté·e comme Boris de ne plus compter que sur l'avis et le soutien des autres, que l'on s'imagine forcément plus à même que nous d'affronter les difficultés. On voit ainsi que Boris se catégorise lui-même comme quelqu'un qui n'est pas capable de trouver des réponses et qu'il désigne très vite Elmer comme étant au contraire une personne qui peut répondre à tout. Non seulement c'est très binaire (Elmer sait tout, Boris ne sait rien) mais ce faisant il se prive de trouver lui-même une solution et c'est en sortant du cadre de la peur qu'il y parvient.

Avec l'erreur de "je n'ai jamais peur" d'Elmer et de "j'ai si peur que je ne peux rien faire" de Boris, on a les deux facettes du refus de voir la peur pour ce qu'elle est : quelque chose qui est là quand on est en difficulté et qui fait simplement partie du processus. Elle n'a pas à être ni maître de nous ni expulsée de notre vie psychique, ce qui est de toute façon impossible.

En conclusion, qu'on se laisse envahir par la peur comme Boris ou qu'on la rejette comme Elmer, tout le monde y perd. Nous, parce qu'on s'empêche de répondre correctement à notre problème (en ne cherchant pas ou en s'obstinant dans une voie) et les autres parce qu'on leur met la pression (de trouver à notre place ou d'agir selon nos attentes).

Discocresco
7
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le 1 oct. 2023

Critique lue 55 fois

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