Par son esthétique, la récurrence des ses ressorts narratifs et la caractérisation archétypale de ses personnages, le film noir est particulièrement exposé à la caricature. On pourrait même dire qu’il en est l’incarnation, et que sa réussite tiendra dans sa capacité à jouer avec des motifs ultra formatés pour à la fois séduire l’amateur qui sait ce qu’il est venu chercher, et renouveler son intérêt par quelques modulations qualitatives.
Le facteur sonne toujours deux fois joue ainsi la carte attendue : on y retrouve le quidam croisant la route d’une femme fatale, une passion destructrice, des motivations crapuleuses et une dynamique tragique. Lana Turner fait le travail comme il se doit, et sa première apparition, savamment préparée, permet un plan fétichiste à souhait, suivant un rouge à lèvre venant s’échouer à ses pieds avant que la caméra ne remonte lentement le long de ses jambes interminables, un procédé qui rappelle la fameuse chaînette à la cheville de Barbara Stanwyck dans Assurance sur la mort deux ans plus tôt.
La première moitié n’est pas totalement convaincante, tant par le jeu des comédiens qu’une représentation un peu poussive de la relation amoureuse. C’est souvent le problème avec les femmes fatales : le spectateur, un peu plus lucide que l’homme en position de victime, se questionne souvent sur la bêtise du mâle aux abois…C’est dans ses ratés que l’intrigue commence à réellement frémir : une fugue romantique qu’on annule par l’avidité de Madame, un assassinat qui échoue par la faute d’un chat mal placé… Ces grains de sable dans l’engrenage sont à l’image de cette mécanique grippée dès le début qu’est le couple des protagonistes, incapables de se satisfaire de leur seul amour.
Sur cette dynamique, la suite du récit gagne en intensité ; le système judiciaire et policier sait tenir compte des amants retors pour les prendre à leur propre piège, et la façon dont les événements vont évoluer dérive vers une tragédie acerbe et ironique. Chantage, manipulation, division pour régner, tous les coups sont permis.
Autre cliché du genre, la voix off révèle à la fin sa vraie nature. Dans Sunset Blvd, c’est un mort qui parlait. Ici, c’est tout comme, puisque le récit est une confession adressée à un prêtre lors d’une confession en cellule. Accusé du meurtre de sa femme alors qu’il s’agissait d’un accident, le protagoniste se retrouve dans les rets jubilatoire de la codification noire : à trop vouloir déguiser la réalité pour en tirer profit, on en devient la principale victime.