Ce film au cœur de la campagne paysanne hongroise me permet de réévaluer le cinéma de Zoltán Fábri avec qui je n'étais pas resté en très bon termes — "La Famille Tòt", pas un grand moment — au moyen d'une fable peuplée de fermiers. Et on peut dire que "Le Fauve" est un film qui place presque toutes ses billes en un seul personnage, Ulveczki Sándor (interprété par Ferenc Bessenyei), un ogre paysan qui impose sa présence brutale au travers de son comportement envers les femmes ainsi que son rapport à un pur-sang aussi puissant et incontrôlable que lui, une métaphore qui sera filée pendant toute la durée du film. Sándor et sa réputation de coureur de jupons constitue une menace ambulante assez incroyable, un homme qui ne supporte pas que la moindre chose lui résiste, et surtout pas la belle Zsuzsi (Mária Medgyesi). Un animal qui ne supportera pas de retrouver cette femme plus tard dans le récit aux bras d'un autre homme, alors qu'il l'avait laissée tomber misérablement : point de départ d'un cataclysme dévastateur.
Le portrait qui est fait de cet homme-animal occupe l'essentiel de la première partie, et Zoltán Fábri parvient à rendre compte de toute sa bestialité au moyen de quelques symboles et quelques scènes marquantes : il y a encore une fois l'image de ce cheval réputé indomptable que Sándor maîtrise sans forcer, mais aussi le rituel du sacrifice d'un bouc (au terme d'une chevauchée impressionnante où il traverse village et champ avec la bête sur les épaules) dont il récoltera le sang pour étancher sa soif apparemment inextinguible. Le reste consacrera une trajectoire autodestructive chez ce mâle arrogant, incapable de réprimer cette facette misogyne constitutive de sa personnalité, avec pour toile fond particulièrement intéressante la Hongrie rurale d'après-guerre.