Suite aux massacres de la Commune de Paris en 1871, deux sœurs Martine et Philippa recueillent une réfugiée française : Babette Hersant. C’est par la troisième vertu théologale et aussi sur les recommandations du chanteur d’opéra Achille Papin, que les deux sœurs prennent Babette à leur service. Quatorze ans après son arrivée, Babette, confectionne un diner digne du restaurant parisien dont elle était chef.


LE PURITANISME:


Les deux sœurs sont sous le joug de leur père, un pasteur luthérien radical. Ainsi, leur conceptualisation de la religion est étroite, rigide et totalement normative. Elles ne raisonnent pas mais obéissent à leurs principes et à la loi Morale que leur père leur a inculquée. Cette radicalisation absolue, ce rigorisme religieux, et cette rigidité morale, se traduit par l’éviction catégorique de tout plaisir terrestre :


La nourriture se cantonne au pain sec et à l’eau et sert uniquement à acquérir les forces nécessaires afin de survivre. L’art culinaire n’existe pas et d’ailleurs même l’art de manière générale est absent dans ce village, ou uniquement à des fins religieuses.


Il y a un contraste entre Papin, qui incarne la musique source de plaisir, et, la dénaturation de la musique dans le village. La musique est simplement au service de la religion. Les hommes ne chantent pas pour la beauté et l’harmonie du chant en lui même, mais uniquement pour louer le seigneur.


Il y a une négation totale de l’amour. Le père interdit formellement à ses filles d’effleurer même le sentiment amoureux. Que ce soit l’idylle de Martine avec Lorenz ou de Philippa avec Achille Papin, leur condition même de femme est mise à mal et l’amour leur est interdit. Au sein même de la communauté, l’amour est nié, refoulé, si bien que ce village vieillit et semble voué à disparaître.


Malgré l’omniprésence de la loi Morale, et le fanatisme religieux, le mensonge, la trahison, la jalousie règne en maître au sein du village qui s’aigrit et qui semble vouer à disparaître. Dans cette partie, la caméra est froide, frigide et statique, dépouillée de toute volupté et de tout plaisir.


Lorsque Babette arrive avec les victuailles qui serviront à la préparation du dîner, les deux sœurs prennent peur : elles font des cauchemars et sont persuadées que toute cette abondance ne peut être que l’œuvre du malin. Cette dénonciation, presque comique de cet ascétisme outrancier se traduit notamment par la volonté des convives à ne pas commenter le dîner afin d’échapper au mal qu’il incarne. Si la langue est faite pour la prière, elle peut aussi être utilisée à des fins maléfiques.


LE TRIOMPHE DU PLAISIR


Avec la préparation du dîner, le film se réchauffe, le tintinnabulement des cuivres aux chauds reflets, ainsi que le crépitement du feu, nous offre de nouvelles sonorités.


Dans un premier temps, les convives s’astreignent à ne rien ressentir, à énoncer des grands principes moraux contre la bonne chère. Mais très vite, le plaisir culinaire prime, des sourires s’esquissent sur leurs visages qui trahissent leur émerveillement gustatif. Ainsi, Gabriel Axel nous montre les visages radieux des protagonistes, l’image est belle, et les plans rapprochés nous montrent la sincérité et la joie qui transcendent ses personnages. Le plaisir fait son œuvre, ils sont heureux et vivent non plus dans la crainte de Dieu, mais dans la joie et la louange. Les convives chantent vraiment, ne psalmodient plus des prières apprises par cœur, mais c’est véritablement leurs cœurs qui parlent. De même, durant le repas, la bande son exprime parfaitement le plaisirs de la bonne chère : le tintement des casseroles et des couverts, le bruit des bouteilles que l’on débouche, le vin s’écoulant dans les verres, le bruit des papilles en émoi, tout concorde à exprimer une véritable symphonie culinaire.


Le plaisir de Babette est différent, mais c’est un plaisir véritable, profond et sincère. En se donnant totalement aux autres, en étant au service des autres, Babette semble se transformer et revivre. La satisfaction de Babette consiste à faire plaisir. Du moins, c’est ce qu’elle affirme aux deux sœurs : lorsque elle était chef dans un grand restaurant parisien, incarnation même du raffinement culinaire, elle vouait sa vie au plaisir des gens : « Je savais les rendre heureux ». Le plaisir de Babette est aussi le plaisir artistique, sa véritable richesse, c’est sa création : un artiste n’est jamais pauvre, affirme-t-elle. Car Babette est un artiste, et c’est dans ses créations qu’elle trouve la source de son bonheur.


LA TRANSSUBSTANTIATION


Juste une petite piqûre de rappel : la transsubstantiation consiste en la transformation du pain et du vin en Corps et Sang du Christ lors de l’Eucharistie.


Ainsi, Le Festin de Babette se veut être une véritable parabole de l’Eucharistie :


Quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles, et tu seras heureux, parce qu’ils n’ont rien à te rendre (Luc 14 :13). Babette offre son art et ce qu’elle a de meilleur à ces gens simples et rudes dont les cœurs ont souffert. Mais ces cœurs endoloris sont pansés par ce festin eucharistique. Babette se donne littéralement, et c’est cela, son don, son festin qui sublime et change ces cœurs. Les querelles d’antan sont oubliées, et laissent place au pardon et à la fraternité : alors qu’ils se reprochaient mutuellement de s’être trahis, deux vieux amants s’embrassent.


Ces nouveaux cœurs, purs, lavés de tout péché laissent place à l’Amour. Celui, présenté ici, est charnel, comme celui des vieux amants, qui s’embrassent sans soucis des convenances, ou encore comme Martine et Lorenz qui s’avouent qu’ils n’ont jamais cessé de s’aimer. Mais c'est aussi l’amour de son prochain : chacun raconte des souvenirs heureux qui les lient. L’amour est aussi celui de l’humanité, c’est un amour divin : c’est celui de Babette qui se donne entièrement pour offrir le meilleur d’elle-même. Ces douze couverts sont une référence directe à la Cène. Ce repas eucharistique met en scène une communauté, qui renaît de cette communion à Dieu et qui est refondée dans son essence même, vers un renouveau de sa foi : « faites que nous puissions employer le temps qu’il nous reste à servir le seigneur corps et âme », s’exaltent-ils. Ils ne vivent plus dans la crainte de Dieu mais dans la Grâce et, l’eucharistie, action de cette grâce, nourrie ses âmes par l’infinie libéralité d’un Dieu d’Amour.

HORIZOON
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le 14 juin 2015

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