L'art de raconter des histoires

A l'heure où les français ne cessent de nourrir une certaine défiance envers leur justice, il est curieux de constater que les films de procès reviennent sur le devant de la scène. C'est comme si, de L'Hermine à Saint-Omer, de Anatomie d'une Chute à Les Choses Humaines, ou encore La Fille au Bracelet, le cinéma s'était donné pour mission d'en explorer les arcanes, de briser les idées toutes faites et en retenir la complexité humaine.

Nouvel exemple en date : Le Fil, dont il est retenu surtout la présence de Daniel Auteuil réalisateur, qui ne casserait pas trois pattes à un canard déjà boiteux. Peut être la critique n'aurait pas tout à fait tort sur cet aspect, Daniel peinant un peu à sublimer son sujet derrière la caméra.

Sauf que Le Fil peut se reposer sur d'autres atouts.

Daniel Auteuil acteur tout d'abord, qui fait littéralement revivre son personnage au contact d'un innocent jeté en pâture aux griffes acérées de la justice. Et là, le masqué s'est surpris à penser que ce rôle, dans Le Fil, au bout du compte, n'était pas très différent de celui incarné par La Belle Epoque. Un même homme rincé, en 2019, qui réinventait et rêvait son intime et son coeur. Un même homme rincé qui, en 2024, retrouve ses idéaux d'avocat et ravive la flamme de son engagement.

Le film peut ensuite compter sur un sujet en or et un suspect qui l'est tout autant grâce à la composition du formidable Grégory Gadebois, irrigué de toute sa simplicité et sa bonhommie débonnaire.

Un sujet qui acquiert une résonance toute particulière dès lors qu'il se mue en véritable métaphore sur l'influence de l'outil narratif et sa puissance de conviction. Car, comme au cinéma, la cour d'assises devient l'amphithéâtre d'acteurs : accusé, témoin, procureur, avocat, imposant leur histoire, leur version d'un script criminel à ceux, public à l'audience ou dans la salle obscure, jurés, qui les écoutent. C'est là que le comédien Daniel Auteuil emporte le morceau, emporté par son intime conviction, par sa fougue et sa certitude de jeune homme, habillant sa vérité de tous les artifices classiques du scénario bien huilé.

La force de ce Fil est des plus cruelles dès lors qu'il confrontera son personnage pris au piège au terme d'un twist cinglant, autant pour lui que pour le spectateur qui s'est laissé emporté un peu trop vite, oubliant une nécessaire prudence face à ce qu'on lui a exposé. Daniel Auteuil réalisateur a un mérite : celui de porter devant sa caméra la puissance d'un personnage miroir tendu à son public. Venant amèrement lui rappeler que finalement, à l'instar d'un torero flirtant constamment avec le danger, le boulot de l'avocat n'est-il pas de danser autour de la vérité, mais juste assez près pour ne pas s'en trouver blessé ?

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