Le Fil
6.5
Le Fil

Film de Daniel Auteuil (2024)

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Impossible d’aborder cette décennie cinéma des années 2020 sans au moins mentionner la densité hallucinantes de films judiciaires, notamment en terme de qualité. Que ce soit les plus confidentiels La jeune fille au bracelet et Première Affaire, les très plébiscités Saint Omer, Les choses humaines ou encore Le Procès Goldman, sans même parler de films « détournant » ce genre sur-codifié à la manière des Chambres rouges ou Le Procès du chien ; et surtout, du point d’orgue de ce que certains pourraient appeler une mode : la palme d’or Anatomie d’une chute. Alors il est vrai qu’en voyant arriver « encore » un autre film de procès, on pourrait se dire que Daniel Auteuil arrive plus ou moins malgré lui après la bataille, et que nous cinéphiles plus ou moins assidus, nous avons tout vu. Pas de médisance pour autant, si le point de vue (un avocat) et la prémisse (la défense du suspect numéro 1 envers et contre tout) peut sembler au mieux déjà vue, au pire extrêmement redondante et sans réel intérêt, je peux dire qu’en dehors d’une structure classique parfois remplis de limites, Le Fil est un long-métrage extrêmement solide, reposant sur de nombreux éléments moins conventionnels soulignant la maîtrise de Daniel Auteuil dans la direction d’acteur, comme toujours j’ai envie de dire, mais aussi désormais dans la création de narration et de mise en scène.

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C’est rare mais je dois l’admettre, souhaitant au mieux vous vendre le film dont je parle, j’essaye de toujours rester vague, ou d’au moins révéler le moins possible sur l’intrigue du dit métrage. Alors je ne fait pas partie de ceux qui vouent une adoration au scénario et me faire spoiler une œuvre, ou du moins la surprise qu’il contient n’est raison gardé pas ce qui me dérange le plus. Or ici, plus que de parler du twist final (car oui, il y en a un), c’est surtout sur ce que ce coup de théâtre signifie sur le reste du métrage, et pour avoir revu le film il y a plusieurs semaines, je peux dire qu’une seconde vision permet d’encore mieux appréhender certains choix d’écriture adoptés par Daniel Auteuil (sur la base d’un vrai fait divers). Donc, je vais rester fidèle à moi-même et ne rien révéler, en revanche, je tient à dire que je vais me permettre de décrire de quoi retourne certaines révélations histoire que vous ayez une vision plus éclairée sur ce que Le Fil vous fera vivre. Parce que son réalisateur suit (à la lettre, je ne sais pas) le déroulé de l’enquête et surtout du procès, narrativement parlant, la forme du film est plus profonde mais dans les faits, Auteuil retrouve une certaine efficacité narrative et certains poncifs du film judiciaire, que ce soit les passages des plaidoiries, l’enquête personnelle de Jean Monier et sur son statut d’avocat, métier nécessaire au rouage de la justice, mais critiquable sur de nombreux aspects. Bref, le film aborde énormément de sujets en dehors de son procès, mais ce-dit procès reste le cœur du film, toute l’intrigue repose sur son avancée, au point où contrairement à d’autres longs-métrages cités plus tôt, Le Fil joue sur une narration non-chronologique. Les échos de fond sont dès lors soulignés par le montage, quand une situation soulevée par l’enquête vient soudainement prendre toute son importance dans la cour d’assises, ou quand un personnage secondaire devient un élément clé dans les plaidoiries, alors que précédemment passé sous silence, c’est alors que la narration vient appuyer sa nouvelle importance. C’est une manière d’aborder le film de procès qui est à la fois extrêmement pertinente mais aussi, à mon sens ici, un peu limitée. Pertinente car Daniel Auteuil ne perd jamais son spectateur, le rythme est constamment maîtrisé et l’efficacité de son récit réside dans ses divers effets d’écriture, permis par le montage, permettent de donner une substance supplémentaire à l’œuvre et aux enjeux. Cependant, le principal problème est qu’une fois qu’on a capté ce qu’Auteuil met en œuvre, ce dernier peine à réellement se renouveler, et certains éléments clés arrivent gros comme une maison, ce qui m’a personnellement frustré. J’ai senti que Daniel Auteuil voulait renouer avec un cinéma plus classique, qu’il cherchait avant tout à proposer à son spectateur, une œuvre accessible, prenante, divertissante peut-être, mais surtout noble, nonobstant, si la démarche n’est pas totalement à jeter, le résultat est que Le Fil combine de nombreuses idées qui peinent à être totalement développées et à surtout se défaire de limites évidentes, pourtant semble-t-il imposées par le réalisateur lui-même.

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Alors clairement, Le Fil ne révolutionnera pas le film de procès, et sa manière de prendre à bras le corps l’univers du cinéma judiciaire n’a rien de novatrice autant dans une démarche purement esthétique que d’écriture, malgré tout, on peut percevoir d’autres choses esthétiquement tout aussi intéressantes voire passionnantes dans ce film, qui justifie presque les coquilles de ce long-métrage. Parce que comme je l’ai adressé à Daniel en personne, ce dernier est un excellente manipulateur, ce que je veux dire c’est qu’au delà de simplement réarranger les scènes pour leur donner une nouvelle efficacité narrative, le (désormais) metteur en scène arrive aussi, par cette disposition à manipuler émotionnellement son audience, en améliorant la carrure de certains personnages, certes, mais surtout en nous mettant dans la tête de cet avocat, ne cherchant pas seulement à défendre son client mais à « le sauver ». Mettant en scène l’intime conviction plutôt que la recherche de preuves sensées, Daniel Auteuil fait muer son film de drame judiciaire au pur thriller psychologique, et la structure narrative efficace mais un peu vaine citée plus haut, devient un réel atout dans la caractérisation de ce Jean Monier, homme plein de ressource, à la fois placé sur un piédestal pour sa dévotion et son professionnalisme que traîné dans la boue pour avoir gracié un coupable récidiviste ; dès lors le personnage apparaît selon moi comme un humain faillible. C’est quelque chose que j’ai surtout ressenti lors de mon re-visionnage, mais quelques scènes semblent juste totalement évidentes par rapport à la culpabilité de certains personnages quand on les voit avec un œil rationnel, et à froid. Or, quand on ne sait pas, il est facile de se laisser transporter par le dispositif et d’être pris par notre ressenti humain ; d’autant que ce que gère à merveille Daniel Auteuil dans ce film, c’est l’ambiguïté. Nicolas Milik, l’accusé, est caractérisé comme « ni un coupable crédible ni un innocent évident », tout le temps, à chaque scène on le sent animé par une réelle candeur, voire naïveté tout en pointant par moments des occurrences tout simplement louches, des phrases et des actions qui posent questions et qui creusent jusqu’à l’ultime scène la question de la culpabilité de l’accusé. J’irai même plus loin en disant que le réalisateur pervertit la suspension d’incrédulité, le lien qu’il créé avec le spectateur, pour dans sa finalité, non pas le surprendre par le twist, mais laisser un goût incroyablement amer dans la gorge du spectateur, lui laisser un sentiment de dépit hallucinant par la manière dont il s’est laissé duper jusqu’à la toute dernière scène. Il y a de cette manière une perversion de la question de l’intime conviction, de comment cette dernière fausse notre vision, à la manière d’un cinéaste qui par le montage (et donc la narration du Fil) en vient à nous faire oublier toute rationalité. Ce fil du titre, c’est le seul indice capable de prouver la culpabilité de Milik, un micro détail, dont le peu d’importance formelle donne du grain à moudre la perception à Maitre Monnier comme à l’avocate de la partie civile, jusque dans une scène dans un parking, presque vertigineuse d’ironie et qui assomme à son spectateur les lourdes conséquences que peuvent ou auraient pu avoir cette affaire ; tout en dressant par ce biais, un personnage d’avocat général dépassé par les événements, aussi largué et heurtés que les spectateurs. Un vrai travail d’illusionniste, une quasi mise en abîme du pouvoir de l’art que de montrer comment l’empathie peut troubler notre vision du réel, solidifiant totalement la narration classique mais profonde de Le Fil, dans un geste bien plus amer qu’escompté.

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L’écriture ou plutôt la narration de Le Fil est donc à la fois ce qui pêche le plus, ou dans une moindre mesure, ce qui limite mais aussi gargarise les qualités de forme et de fond du long-métrage, bien qu’il ne soit cependant pas inintéressant, loin s’en faut, de désigner les nombreuses qualités de mise en scène qui distance un petit peu plus ce long-métrage de l’énième film de procès qu’on pouvait craindre. Or, bien que sa mise en scène ne soit pas aussi chirurgicale que chez Triet, radicale que chez Diop ou burlesque comme chez Dosch, en lien avec cette idée de classicisme, Daniel Auteuil délivre tout de même avec Le Fil une mise en scène extrêmement élégante qui incarne ce que je disais du long-métrage, à savoir comme d’une œuvre solide. Techniquement parlant, le metteur en scène cache très bien son jeu, avec une photographie granulée magnifique, qui fait ressortir à merveille les couleurs les plus pastelles que les ombres et fonds grisâtres, donnant de magnifiques contrastes autant en extérieur qu’en intérieur, de nuit que de jour. Comme pour le scénario, on pourrait réduire le travail visuel à ça et s’en contenter, mais pour aller plus loin, je remarque avec hardiesse le mélange de complexité technique et de simplicité employée par Daniel Auteuil. Quelques plans séquences disséminés, des plans majestueux bien composés, un travail de la lumière léché, tout semble travaillé mais pas toc, et sans pour autant se démarquer outre mesure comme un Anatomie d’une chute, Le Fil arrive néanmoins à filmer ses personnages avec précision sans jamais en faire trop, tout en offrant une multitude d’idées de mise en scène qui viennent appuyer le malaise qui peut ressortir de cette affaire, tout autant que le sentiment de mystère qui émane du meurtre. En grande partie parce que Daniel Auteuil capte à merveille l’étrange malaise qui ressort du village d’Arles filmé ici dans un mélange de grisaille et de quasi ésotérisme qui rappelle ce sentiment de mal qui rode, comme on pouvait le ressentir dans certains films de Bruno Dumont, où le paysage campagnard humble et froid cache les pires horreurs. Sans pour autant les montrer ou chercher une mise en scène grandiloquente, Daniel Auteuil arrive à amplifier l’intime conviction de Maître Monnier par sa mise en scène, que ce soit lorsque la caméra imagine les quelques heures avant le drame où quand elle s’investit autant que son personnage dans l’enquête et la recherche d’éléments concordants quand à l’innocence de Milik. Le metteur en scène capte à merveille l’aspect « thriller psychologique » de son œuvre à vrai dire, sans encore une fois transcender son matériel mais en lui donnant une réelle plus-value par le biais du trouble mis en scène jusque dans les scènes de procès, ces petites notes revenant caresser l’image et amplifiant le sentiment de mystère, etc. Des petits détails qui finissent par donner de la chaire à cette œuvre bien moins conventionnelle qu’attendue, amplifiée par une mise en scène intelligente, techniquement irréprochable, et qui magnifie le travail purement narratif dans sa recherche de trouble de l’intime conviction.

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Il y a cependant un point que je n’ai pas encore abordé quand à la question des qualités du Fil, a savoir celle de ses comédiens, qui arrivent à la fois trouver une certaine justesse de ton par rapport à leur sujet, tout en embrassant de manière caractérielle les attendus du film judiciaire. On peut déjà aborder le duo principal, voire dirons-nous, le duel Auteuil-Gadebois, dont c’est selon moi pour ce dernier, le meilleur rôle et de très loin. Principalement car Nicolas Milik est un rôle taillé pour la carrure et le phraser de Gadebois, ce côté penaud, candide mais intérieurement moins lisse, plus monstrueux diront certains, comme une incarnation de la banalité du mal qui créé tout le zèle d’un tel procès. Il y a justement un naturel hallucinant qui ressort de ce personnage, notamment dans certaines interventions proprement ubuesques, où le personnage semble totalement déconnecté de la réalité, ou au contraire quand l’affaire résonne tristement ou de manière ironique avec les questionnements sociaux et politique actuels ; le tout sans forcer. On croit totalement en ce personnage et ce qu’il raconte de notre société, pour ma part, sa caractérisation à la fois subtile et profonde est ce qui en fait LA grande force du film, particulièrement car comme précisé plus tôt, c’est un duel ; plus inconscient que d’autres grandes confrontations du cinéma (ne serait-ce que pour citer Heat), mais les personnages e Milik et Monier se complètent parfaitement tout en ayant une vision différente de la situation. Alors que l’avocat tente désespérément de sauver son client, Milik semble plus prompt à une culpabilité plus ou moins légitime (vous verrez) qui semble faire plus ou moins pencher la balance quand à ses réelles intentions, et les deux personnages finissent par se retrouver sans s’en rendre compte dépassés par cette situation, dans un engrenage clinique qui à la fin, ne les épargnera pas. Et justement parlons de Monier un peu, et à fors-suris, d’Auteuil en tant qu’acteur cette fois-ci, qui arrive à creuser avec son personnage quelque chose de rare et fort : de l’ironie. Sans trop en dire, bien que l’envie soit démesurée, le réalisateur montre les dérives de ce qui est son thème principal, à savoir l’intime conviction, il montre toute la perversité de ce phénomène psychique qui est traduit par une forme de thriller tout du long de l’œuvre. En revanche, plus Le Fil se dénoue, plus le suspens se transforme en malaise pur et dur, et c’est possible par la grande constance du jeu d’Auteuil, qui tient et croit en son récit du début à la fin. Nonobstant, là où je marquerai un petit réserve, c’est qu’on retrouve aussi ici la limite de ce cinéma plus classique, voire ici académique, avec une favorisation de la performance qui peut parfois amenuiser le fond du sujet. Maintenant cela reste d’après moi un problème mineur face à la qualité globale de l’interprétation, mais on sent qu’en plus d’embrasser les codes du film de procès, Daniel Auteuil a eu d’après moi tendance à s’y conformer un peu trop (surtout après l’excellent Un Silence). C’est d’autant plus le cas dans les rôles secondaires, tous très bien interprétés, mais qui n’arrivent selon moi pas à capter cette légère ambiguïté, ou du moins, cette profondeur qu’à en revanche su porter à l’écran Grégory Gadebois, dont l’incarnation donne un peps supplémentaire à ce film de procès, se démarquant définitivement mais pas outre mesure de la masse. Au final, pour en revenir à l’écriture, ces personnages plus fonctions et caricaturaux font retomber dans l’attendu Le Fil, qui se termine dans un dernier tiers centré sur le procès, duquel les plaidoiries et actions s’enchaînent d’une manière à mon goût plus mécanique et moins intelligente, bien que toujours aussi maîtrisée et prenante.

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Le film est communément ce que je qualifierai de film solide, très même, parce qu’il réussit presque tout ce qu’il entreprend, bien qu’à mon goût, Daniel Auteuil peine réellement à transcender son sujet, ses acteurs et son scénario par sa volonté d’offrir au spectateur un spectacle classique, prenant et grand public. Néanmoins, pour (ce qu’il considère comme) un premier film, cela reste une très belle promesse, pervertissant un genre éculé pour lui donner un second souffle par le biais de personnages passionnants et d’une narration maîtrisée, autant dans le déroulé de son action que sa manière assez magistrale de manipuler jusqu’à plus soif le spectateur.

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il y a 7 jours

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