En quelques lignes :


Octobre 1944, Auschwitz-Birkenau.


Saul Ausländer est membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs isolés du reste du camp et forcés d’assister les nazis dans leur plan d’extermination. Il travaille dans l’un des crématoriums quand il découvre le cadavre d’un garçon dans les traits duquel il reconnaît son fils. Alors que le Sonderkommando prépare une révolte, il décide d’accomplir l’impossible : sauver le corps de l’enfant des flammes et lui offrir une véritable sépulture. (Allocine)


Et en un peu plus :



« Et non seulement nous n’avons pas le temps d’avoir peur, mais nous
n’en avons pas la place. » (Primo Levi, Les Naufragés et les rescapés,
1989)



Pour le philosophe Georges Didi-Huberman, Le Fils de Saul est un « monstre nécessaire, cohérent, bénéfique, innocent. » Film monstrueux car expression d’un cauchemar malheureusement bien réel : celui de la Shoah, des camps de concentration et de leur indicible cruauté. Film nécessaire et bénéfique car capable, dans le cadre d’une formulation esthétique et narrative très risquée, de représenter l’irreprésentable d’un tel événement, « trou noir » de l’histoire et de la pensée humaines. Cohérent, enfin, car faisant du cinéma en lui-même, en tant qu’art mêlant sons et images en mouvement, le support de ce paradoxe.


C’est ce dernier aspect qui marquera le plus les spectateur·e·s, probablement. Le Fils de Saul raconte une histoire en effet, celle de Saul Ausländer, déporté juif membre des Sonderkommandos d’Auschwitz qui cherche à offrir une sépulture à celui qu’il pense être son fils, mais cette histoire pourrait n’être qu’un conte macabre parmi d’autres si elle n’était pas en même temps articulée à deux choix spécifiques de mise en scène : d’une part, la caméra est située en permanence à proximité de Saul (juste derrière lui, juste devant lui, lui tournant autour, le suivant dans sa course effrénée dans le camp) ; d’autre part, la profondeur de champ est majoritairement infime, si bien que nous ne voyons souvent à l’écran que ce qui se situe au premier plan, le reste demeurant flou. Dès lors, l’horreur des camps, toujours fugace, jamais frontale, comme « baignant » indistinctement le protagoniste mais toujours tranchante, y est produite par l’entremise d’une véritable découpe cinématographique : découpe d’une zone de netteté très restreinte dans l’espace du visible, découpe d’un champ très restreint dans la pratique du plan rapproché, par laquelle les sons, hurlements et corps ne parviennent au spectateur que sous la forme d’un magma auditif et visuel proprement effarant. Ainsi, on ne voit rien et pourtant on a vu, malgré tout. La violence, l’horreur et les souffrances sont là, dans ce qui ne se fixe pas, dans ce qui reste liquide et intangible dans l’ordre de visible, dans ce qui fuit la pensée et que pourtant l’on sait exister. Tel est le paradoxe qui explique en partie l’incroyable puissance du Fils de Saul, et sa pertinence dans le cadre d’une réflexion esthétique sur la représentation de l’Holocauste.


Incarnation de l’urgence et de l’enfermement, représentation radicale et anxiogène de l’indicible des camps, Le Fils de Saul n’en est pas moins un film innocent car il propose le récit d’une folie pure, d’un sacrifice absurde et magnifique mené par son protagoniste, cherchant à donner une sépulture à un fils dont il n’est même pas certain qu’il soit le sien, travaillant à arracher à l’extermination de masse le corps et l’identité d’un seul enfant, à lui restituer une part de son humanité alors que tout concourt à la lui retirer, c’est-à-dire à créer, « à contre-courant du monde et de sa cruauté, une situation dans laquelle un enfant existe, fût-il déjà mort ». En cela, Le Fils de Saul n’est pas qu’une plongée en enfer, il est aussi une façon de sortir du noir, par l’image, par la pensée.

FenêtresSurCour
8

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Créée

le 15 nov. 2019

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