Le premier quart d'heure est terrassant de puissance. La façon qu'à László Nemes de suivre Saul à hauteur d'épaule est aussi redoutable qu'efficace. D'abord parce que cela oblige le spectateur à reconstituer ce qu'il vient de voir dans les minutes précédentes avec l'effroi de l'intellect qui se superpose à celui du spectateur, ensuite et surtout parce que l'horreur au cinéma est toujours bien plus forte par ce qui survient hors champ.


La sidération face à l'inadmissible n'a pas besoin du détail des corps nus entassés pour pleinement se ressentir. Le flou ambiant entourant les actions frénétiques du personnage principal ne permet de cerner qu'avec plus de netteté sa quête absurde et vitale n'ayant qu'un but, absolu: la survie de son corps et celle (intimement liée et tout aussi essentielle et dérisoire) de ce qui pourrait ressembler à une âme.


Et puis, petit à petit, l'étreinte se desserre.
L'audace du réalisateur se retourne progressivement contre lui. Alors qu'il a d'abord frappé par sa radicalité, le procédé narratif devient asphyxiant. Au fil des minutes, nous sortons du camp de concentration pour revenir dans une salle de cinéma.


Le flou devient alors centripète. On ne comprend que trop bien le sens des actions de Saul alors que les moyens qu'il emprunte pour y parvenir deviennent abscons: les voix se mêlent, les visages deviennent interchangeables, les tentatives désespérées des uns et les buts frénétiques des autres se diluent et se perdent. L'émotion s'estompe et Saul n'est plus pleureur.

guyness

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